La Loi de finances relative à l’année 2022 prévoit des besoins de financement à hauteur de 19.983 MD dont 12.652 MD provenant de l’emprunt international. Les autorités tunisiennes misent sur un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI) afin de débloquer la situation.
L’accord en question, selon la ministre des Finances, ne couvrira pas l’ensemble de cette somme, mais encouragera les partenaires de la Tunisie à s’engager dans des négociations bilatérales. Ainsi, le gouvernement a préparé un document sur lequel il se basera lors des échanges avec le FMI. Il contient un programme truffé de discordance, encore plus calamiteux que la LF 2022 et auquel on a audacieusement donné comme slogan « Engagement, cohérence, crédibilité ».
Le programme, d’un gouvernement prônant la transparence, dont personne n’aurait pu avoir connaissance sans fuite du document. Bien évidemment, ceci s’inscrit dans la politique d’exclusion que le gouvernement avait entamé lors de l’élaboration de la LF 2022. Ce document n’évoque pas la participation des partenaires sociaux ou de débat autour d’une stratégie définissant l’avenir de la Tunisie. Il s’agit d’une cinquantaine de pages développées par les services des ministères des Finances et de l’Économie et de la Planification, de la Banque Centrale de Tunisie et de la présidence du gouvernement. Comble de l’ironie, le document en question souligne l’importance d’une meilleure transparence et d’un renforcement du pilotage des réformes !
S’enfonçant encore plus dans le ridicule, le document évoque l’amélioration du climat des affaires et du regain de confiance auprès des investisseurs alors que le président ne ménage pas ses efforts pour les traiter de tous les noms : traîtres, voleurs, escrocs… Kaïs Saïed est même allé jusqu’à les assimiler au renard libre dans le poulailler libre bénéficiant d’un système basé sur la loi du plus fort et facilitant la spoliation des biens et des richesses.
Mais encore, comment instaurer une confiance entre l’investisseur et l’Etat alors que des hommes d’affaires et des décideurs ont été placés en détention et malmenés par le gouvernement et ce ne sont pas les exemples qui manquent à ce sujet. Samir Taïeb, ancien ministre de l’Agriculture, avait été arrêté le 26 octobre 2021 pour suspicion de corruption en se basant sur un dossier ne comportant aucune preuve pour être libéré le 1er décembre 2021. L’homme d’affaires Mehdi Ben Gharbia, quant à lui, a fait l’objet d’une campagne de dénigrement et d’incitation. Il a été arrêté le 17 octobre de 2021 après un interrogatoire qui avait duré plus de dix heures. A la date du 14 décembre 2021, le juge d’instruction a décidé de le libérer puis le ministère public a fait appel de la décision.
A supposer que le gouvernement arrivera à convaincre le FMI de ses bonnes intentions, comment compte-t-il expliquer la rupture totale entre la LF 2022 et ce programme ? Le document évoque une relance des secteurs des TIC et de l’automobile à travers l’amélioration la proposition de valeur dans le secteur automobile. Or, rien de cela n’a été mentionné dans le LF 2022 ! Le gouvernement s’est contenté de proposer quelques mesures relatives aux véhicules importés ou acquis localement par des Tunisiens résidant à l’étranger et d’opter pour la politique de la sourde oreille concernant les entreprises.
Pour ce qui est du secteur des TIC, la démarche fut encore plus surprenante ! La LF 2022 a consacré une révision à la hausse de plusieurs taxes. Ceci a poussé la Fédération nationale du Numérique, relevant de l’Utica, à exprimer son étonnement et son indignation quant à l’attitude des autorités tunisiennes vis-à-vis de ce secteur. Les dispositions de cette loi menaceraient 10.000 emplois.
Toujours dans le cadre de cette rupture, la proposition du gouvernement tunisien évoque une suppression de la seconde vague d’autorisations sans que la chose ne soit mentionnée dans la LF 2022.
Comme on le dit « The show must go on ! » et c’est pour cela que le programme parle d’économie verte (élément quasi-absent dans la LF 2022). Le gouvernement présentera plusieurs mesures au FMI à ce sujet alors qu’il s’est contenté de mettre en place un petit allègement au niveau des taxes appliquées à l’importation des panneaux photovoltaïque et des voitures hybrides et électriques. Le gouvernement a, ainsi, choisi de lever les droits de douane pour l’importation de véhicules électriques sans entamer un projet d’installation de bornes de recharge.
Par contre, au niveau du programme de réformes, le gouvernement parle de (tenez-vous bien !) :
– Relance et opérationnalisation du Plan Solaire Tunisien
– Stratégies sectorielles et nationales de transition écologique
– Un cadre réglementaire incitatif à la mobilité électrique
– Généralisation du tri auprès des hôtels, industries, établissements publics et scolaires
– Promotion de la mise en place de projets de gestion des déchets solides dans le cadre des PPP
– Mise en œuvre des objectifs de la Contribution Nationale Déterminée (NDC) relative au secteur des Déchets
– Publication du nouveau programme quinquennal de Production des ER par le secteur privé au titre de 2022-2026
– Incitation à la mise en œuvre des ER pour l’autoproduction (photovoltaïque social, industriels, bâtiments publics, etc.)
L’ensemble de ces éléments représente clairement une tentative désespérée visant à vendre du rêve et à mendier tout en ayant un semblant de sincérité. Il ne s’agit que de purs slogans sans objectifs clairs et mesurables. Des phrases que nous devrons nous coltiner à chaque discours et à chaque campagne. Un procédé rappelant les beaux discours des différents pouvoirs en place au sujet de la digitalisation et du numérique.
A ce niveau, le gouvernement n’a pas failli à la tâche ! Il a estimé que la digitalisation représentait l’un des leviers de ce programme de réformes. Alors qu’elles prônaient la transparence et le dialogue, les autorités tunisiennes comptent remplacer le code des télécoms par un nouveau texte intitulé code du numérique. Ceci va être proposé au FMI sans évoquer la question à l’échelle nationale et sans débat. De plus, l’adoption d’un texte de loi régissant plusieurs secteurs et éléments sensibles se fera sans passer par une assemblée représentative et législative. La prise de telles décisions de façon unilatérale portera préjudice à l’unité et accentuera encore plus le fossé qui ne cesse de se creuser entre le pouvoir en place et le reste des composantes de la société tunisienne.
Concernant l’identifiant numérique du citoyen, le gouvernement ne s’est pas penché sur la question dans la LF 2022 alors que l’agenda du programme indique que cette décision verra le jour au cours de cette année.
Le sophisme dans ce programme ‘’grandiose’’ ne s’arrête pas là ! Le gouvernement a décidé d’investir dans des infrastructures à très haut débit. Selon la même source, ceci permettra, en 2023, de généraliser l’accès à la fibre optique afin de préparer le terrain pour l’introduction de la 5G. Ainsi, la mise en place d’un réseau de fibre optique dans le cadre de grandes réformes dans un pays d’une superficie de moins de 170.000 Km² nécessitera deux ans de travaux conduits par l’Etat. Pourquoi la Tunisie compte-t-elle procéder à cela ? Quel sera le rôle du secteur privé dans tout cela ? Pour rattraper le retard en la matière, le pouvoir en place devrait songer à déléguer ce projet aux structures économiques privées installées en Tunisie dotées des moyens techniques et humains capables d’exécuter rapidement ce genre de tâche, ceci afin de pouvoir par la suite entamer l’introduction de la technologie 5G qui, à titre d’exemple, a été employée chez nos voisins français depuis 2020.
Autre élément surprenant cité dans ce document : L’Instance nationale de Lutte contre la corruption (Inlucc). Sans nous expliquer par quelle logique ou mécanisme, le gouvernement compte présenter l’Inlucc comme étant l’un des leviers de ce programme de réformes permettant de réaliser de la croissance et l’équité ! Un grand mystère d’autant plus que les forces de police avaient procédé à l’évacuation et à la fermeture des locaux de l’instance depuis le 20 août 2021. De plus, le président de la République a décidé de limoger son président par intérim, Anouar Ben Hassen à la date du 20 août 2021. D’ailleurs, le programme de réformes ne précise pas la date de réinstauration de l’instance.
Autre mesure fiscale proposée, une augmentation des prix du tabac afin de réduire le déficit budgétaire. Mis à part le fait que la surtaxation et la hausse des prix du tabac encourageront le marché parallèle et l’acheminement de produits de contrebande, une simple recherche sur Google permet de comprendre la politique du FMI vis-à-vis de telles mesures. La hausse des taxes et des prix sur les produits nocifs tels que le Tabac s’inscrit dans le cadre de l’amélioration du système de santé et non-pas d’une simple réduction du déficit budgétaire. Le FMI, la Banque Mondiale, l’OCDE et autres institutions financières ont appelé les Etats à mettre en place une taxe permettant un accès à de meilleurs services sanitaires et médicaux afin de traiter la dépendance au tabac ou la prévention du tabagisme. Le FMI a, explicitement, insisté sur cette approche depuis la première vague de la pandémie due au Coronavirus. Appliquer l’augmentation des prix du tabac afin de réduire le déficit budgétaire démontre que le gouvernement essaye tout simplement de combler le déficit par n’importe quel moyen et non-pas à mettre en place un plan de stabilisation des finances publiques. « L’administration a fait ce qu’elle a pu ! Tout cela s’inscrit dans les limites du possible ! », nous dira-t-on.
Enfin, et pour clore ce spectacle de mauvais goût, le gouvernement s’engagera auprès du FMI à appliquer ce programme dans le cadre d’un plan pour la période 2022-2025. Un gouvernement temporaire, formé dans le cadre de l’annonce de mesures exceptionnelles, ayant pour responsabilité de gouverner d’ici la tenue des élections législatives en décembre 2022, s’engagera à appliquer les réformes d’ici 2025, un engagement donc pour une entité qui pourrait ne plus exister d’ici l’année prochaine ! Entre temps, le gouvernement et le président de la République ont réussi à s’isoler et à se mettre à dos une grande majorité des acteurs de la scène politique et de la société civile. Les termes qui nous viennent à l’esprit sont : rupture entre le gouvernement et les partenaires sociaux, isolement du président et absence de concorde nationale. Les prochaines élections législatives bouleverseront l’échiquier politique et conduiront sûrement à la création d’un gouvernement politique qui se dotera de son propre programme de réformes et de relance de l’économie. La proposition de l’équipe de Najla Bouden n’engage pas les partis politiques puisqu’ils n’en ont même pas été informés.
Indépendamment de l’aspect esthétique hideux du document et de ses slogans pompeux, ce programme énigmatique et incohérent est à l’image de la politique même du gouvernement actuel et des discours du chef de l’Etat insultant l’intelligence des citoyens. L’équipe de Najla Bouden croit pouvoir rassurer le FMI avec ce programme et affirme pouvoir obtenir un prêt permettant de financer une partie du budget de l’Etat. C’est dans ce sens-là que le budget avait d’ailleurs été élaboré. Une hypothèse boiteuse qui nous mène encore plus vers l’inconnu et le flou total.
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