Il ne serait pas surprenant que le Soudan devienne un autre Yémen, c’est-à-dire un champ de bataille entre les agendas convergents et divergents des Saoudiens et des Émiratis, et une arène dans la lutte pour le pouvoir et le leadership qui fait rage entre les deux capitales du Golfe. Qu’on le veuille ou non, le Soudan pourrait également devenir une nouvelle arène dans la lutte qui fait rage autour du nouvel ordre mondial.
Le Soudan est à nouveau le témoin d’un nouveau chapitre de conflits internes et de guerres étrangères à son encontre.
Cette fois-ci, comme les fois précédentes, les affrontements entre généraux, les conflits entre camps civils et militaires et l’explosion des tensions entre sous-groupes et sous-identités menacent le paysage, la population et les infrastructures du pays. Les interventions extérieures et les interactions sociodémographiques entre le Soudan et ses voisins laissent présager que la lutte pour le pouvoir entre l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR) se transformera en une crise continentale impliquant des pays, des sociétés et des groupes d’Afrique et d’ailleurs.
L’histoire du Soudan est pleine de coups d’État et de tentatives de coup d’État. Le Soudan est visé parce qu’il constitue une source de richesses sans équivalent dans les mondes arabe et africain. Il revêt également une importance stratégique pour la sécurité nationale arabe en général, et égyptienne en particulier, comme en témoigne le torrent de projets visant à fragmenter, diviser et affaiblir le pays avant et après l’indépendance.
Khartoum, connue comme la capitale des “trois non” [pas de reconnaissance, pas de négociations, pas de paix avec “Israël”, inscrits dans la déclaration du sommet de l’université arabe de Khartoum en 1967], a été la cible de l’évangélisme israélo-américain.
Bien que le pays, avec son peuple et ses forces vives, ait toujours été un fervent soutien du peuple palestinien et des forces de résistance, Khartoum n’a jamais échappé à la violence et à la soumission depuis que Jaafar Nimeiri en a fait un lieu de passage pour la contrebande des Falasha [Juifs éthiopiens]. Aujourd’hui encore, après que Burhan et Hemedti ont conduit le pays sur la voie infâme de la normalisation, “Israël” a le courage et l’audace de se présenter comme un médiateur “neutre” entre deux généraux engagés dans une bataille à somme nulle, chacun cherchant à déraciner l’autre et à l’envoyer là où le soleil ne brille pas.
En tant qu’État-nation post-indépendance, le Soudan a échoué de manière extraordinaire à réaliser le développement, à promouvoir une identité nationale collective et à résoudre les questions d’égalité de citoyenneté et de justice entre ses différentes institutions et populations – de l’époque du général Abboud au général al-Bashir, en passant par Hassan. Le “projet de renaissance de Turabi”. La première sécession violente dans le Sud a été le résultat naturel des abus brutaux et idéologiques des généraux. Nombreux sont ceux qui craignent qu’elle ne soit le prélude à une deuxième, une troisième et une quatrième séparation, car lorsque le virus de la division frappe un pays ou une société, aucun frein ou restriction ne l’empêche de glisser du bord de l’abîme vers les profondeurs.
Aujourd’hui, le Soudan est le théâtre d’une guerre féroce entre les “frères ennemis” qui sont imprégnés du poids de l’histoire, de l’échec qui prévaut et de la cupidité de ceux qui convoitent les richesses du pays, sa situation géographique et son vaste territoire qui s’étend des déserts aux forêts.
Le Soudan est considéré comme le lien vital entre la région arabe d’Afrique du Nord et la région du Sahel et du Sahara. Il a le potentiel d’être une source de force pour l’ensemble de la nation ou de devenir sa base molle, dans laquelle n’importe qui peut s’immiscer quand et comme il le souhaite.
Il n’existe aucun scénario dans lequel une guerre de généraux détruisant tout sur son passage se terminerait bien. Si l’armée dirigée par Al-Burhan sort victorieuse, le Soudan s’enfoncera dans un nouveau tunnel sombre de régime militaire qui tournera la page de la transition démocratique. Les restes de l’ancien régime rétabliront les anciennes positions, et le sommet d’Entebbe [Netanyahou / Burhan 2020] ouvrira une branche de la voie des “Accords d’Abraham”, dont le Soudan ne sortira pas indemne, et la sécurité nationale arabe et égyptienne sera en danger permanent.
Si le FSR, ou plutôt les Janjawids, sont destinés à l’emporter, le Soudan tel que nous le connaissons ne survivra pas. L’homme qui dirige ces forces est obsédé par le pouvoir et le contrôle, et son héritage, son passé et son pouvoir lui permettront de détruire le Soudan comme il l’a fait au Darfour et au Kordofan. Il rivalise aussi vigoureusement avec Al-Burhan pour courtiser Israël, bien que ce soit par l’intermédiaire du Mossad, plus pratique, que par celui du ministère des affaires étrangères.
Comme l’indique sa biographie, l’homme est dépourvu de tout système moral ou éthique. Son rapprochement avec certaines des forces civiles participant à l’accord-cadre n’est qu’une tentative pour les anesthésier en vue de les massacrer ultérieurement tout en consolidant son autorité sur la région du nord du Nil, après avoir progressé depuis la périphérie du pays. Son comportement, ses alliances et ses actions entachées du sang des Soudanais et des rebelles indiquent que le pays sera dirigé par un criminel de guerre jusqu’à ce qu’une occasion se présente pour un nouveau coup d’État sanglant.
Si aucun des généraux assoiffés de pouvoir ne peut l’emporter, Hemeti et les Janjawids chercheront probablement à obtenir l’aide de leurs villes d’origine, de leurs clans au Darfour et au Kordofan, ainsi que des alliances transfrontalières. Hemedti trouvera le soutien qu’il recherche, et ses mines d’or et ses investissements dans les minéraux et les ressources naturelles lui garantiront l’immense richesse nécessaire à l’extension de sa guerre et de son pouvoir. Il n’est pas du tout déraisonnable que l’ouest du Soudan connaisse le même sort que le sud, même si les circonstances, le nombre et les alliances sont différents.
Les appels au calme et au dialogue, malgré les modestes possibilités de les confronter avec des actions et non des mots, peuvent réussir à retarder le moment de vérité et à retarder la grande explosion. Le modèle du duo (sous le règne du duo Bashir/Turabi) s’est avéré être un échec en temps de paix, sans parler de l’époque de la militarisation, de l’armement et de la guerre ! La FSR est conçue pour assurer la survie de la milice, et non son intégration dans les institutions militaires et civiles de l’État – à moins que ces institutions ne tombent sous le commandement de Hemedti, un scénario hautement improbable étant donné que l’establishment militaire soudanais fait partie de l’État profond et qu’il le déteste. Le RSF va au-delà de Burhan et s’étend à la plupart des commandants et des recrues. Et indépendamment de ce que l’on peut dire de son chef aujourd’hui, l’armée reste la meilleure garantie de survie et de durabilité de l’État soudanais.
Dans le conflit qui fait rage à l’intérieur et à l’extérieur du Soudan, l’hypocrisie de l’Occident, en particulier des États-Unis, est flagrante. Malgré tous les discours sur la démocratisation du pays, nous n’avons assisté, tout au long des années post-Bashir, à aucun effort concerté pour sauver le processus de transition et démanteler l’emprise de l’armée sur les forces civiles et révolutionnaires.
Les deux généraux savaient de quel côté du pain il fallait beurrer. Chacun d’eux, à sa manière, utilise les canaux qu’il connaît le mieux et cherche à se rapprocher d'”Israël” pour assurer sa survie au pouvoir. Ils ont obtenu ce qu’ils voulaient en collusion avec les Etats-Unis et, à des degrés divers, avec plusieurs capitales européennes. Car une véritable transition démocratique au Soudan aurait mis ce pays sur une autre voie où la normalisation avec “Israël” ne serait rien et aurait permis aux Soudanais de contrôler les ressources de leur pays et de prendre leurs propres décisions en matière de relations internationales, y compris en renouant avec les relations traditionnelles avec la Russie et la Chine. Le Soudan n’est pas un pays comme les autres, ce qui est la dernière chose que souhaitent Washington, le Royaume-Uni et l’Europe.
Par conséquent, le conflit qui fait rage au Soudan a mis en évidence les acteurs et les influenceurs régionaux et internationaux de poids sur la scène. Il semble que l’Égypte soit complètement hors jeu, car pratiquement aucun de ses acteurs n’est impliqué dans la trêve, le cessez-le-feu, l’évacuation et les efforts de secours.
Ironiquement, le “quartet international” qui s’occupe du Soudan comprend Riyad et Abu Dhabi, ainsi que Washington et Londres, mais exclut Le Caire, bien que le Soudan ait toujours été une extension de son influence et une zone vitale d’eau et d’intérêts stratégiques depuis l’époque des pharaons.
Il ne serait pas surprenant que le Soudan devienne un autre Yémen, c’est-à-dire un champ de bataille entre les agendas convergents et divergents des Saoudiens et des Émiratis, et une arène de lutte acharnée pour le pouvoir et le leadership entre les deux capitales du Golfe.
Qu’on le veuille ou non, le Soudan pourrait également devenir une nouvelle arène dans la lutte qui fait rage autour du nouvel ordre mondial. Ce que Blinken, la Maison Blanche et le Pentagone craignent le plus, c’est que Moscou réussisse à jeter des ponts avec Khartoum et que le groupe Wagner ait une quelconque présence sur le sol soudanais, bien que l’organisation paramilitaire nie toute implication de ce type, comme le font les deux parties. différend. Pendant ce temps, la guerre des États-Unis contre l’initiative chinoise “Road and Belt” ne laisse aucune arme, aussi sale soit-elle, hors de portée.
Aujourd’hui, le Soudan est devenu un terrain d’essai pour les axes et les alliances régionales. Il permet d’étudier le phénomène de désintégration qui l’a frappé au cours des deux dernières années à la suite de changements majeurs dans la politique, les positions et les alliances entre les capitales régionales. L’Egypte dissimule à peine son parti pris pour l’armée et Al-Burhan. De son côté, son allié libyen, le général Khalifa Haftar, a décidé de prêter main forte aux Janjawids, sous l’impulsion de l’autre allié régional de l’Égypte, les Émirats arabes unis, qui, eux aussi, ne cachent pas leur parti pris pour le FSR.
Le Royaume d’Arabie Saoudite, qui n’a pas ménagé ses efforts pour chasser les Frères Musulmans à travers le monde (ainsi qu’en Egypte), ne cache pas son ralliement à l’armée et à Al-Burhan, malgré le flot d’informations sur le mouvement islamiste et les vestiges de l’ancien régime. Soutenez l’armée dans ce conflit. Il n’est pas inconcevable que nous assistions à d’autres réalignements si cette crise devait se prolonger.
La Russie et la Chine brillent par leur absence sur la scène soudanaise, du moins pour l’instant. Les deux puissances sont engagées dans une guerre globale avec Washington et ses alliés sur l’identité et la nature du nouvel ordre mondial. Malgré le profond réseau d’intérêts qu’elles ont construit sur cette scène stratégique, elles préfèrent rester en retrait. Est-ce en raison de l’incertitude de l’issue du conflit et de ses répercussions ? Ou s’agit-il d’une tactique qui consiste à attendre que les parties s’épuisent et testent des initiatives avant d’intervenir pour sauver la situation ? Le médecin russo-chinois pourra-t-il réparer ce qui a été cassé par les interventions étrangères et les querelles intestines entre généraux si l’attente s’avère longue ?
Les seuls au Soudan qui méritent la solidarité et la sympathie sont le peuple frère et certaines des forces civiles et révolutionnaires meurtrières. Mais la majorité des élites et des partis politiques ont tacitement choisi de prendre parti pour l’un ou l’autre camp, et la majorité d’entre eux ont été capturés (ou complices) par les ruses trompeuses des Janjawids lorsqu’ils ont accepté le protecteur des Janjawids. Le processus de transition démocratique et le garant d’un avenir sûr pour le Soudan.
Mais nous, qui avons grandi dans les bras de la gauche arabe, sommes horrifiés de constater que certains gauchistes ont pris la défense des Janjawids et de leurs généraux en utilisant des affirmations, des arguments et des explications que personne n’est aussi habile à tourner que la gauche opportuniste, qui exerce sa haine des islamistes comme une passerelle vers sa propre autodégénérescence, sacrifiant le sang des Soudanais sur l’autel des pétrodollars.
Quelle honte à voir !
Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement l’opinion du site Arab Maghreb News, mais exclusivement celle de son auteur.