Depuis l’opération russe en Ukraine, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN se sont lancés dans un processus diplomatique sans précédent pour isoler et condamner Moscou pour avoir violé l’intégrité territoriale et la sécurité de l’Ukraine et piétiné les principes du droit international consacrés par les Nations unies.
Les pays arabes entre le marteau et l’enclume Au milieu de cette poussée diplomatique, de nombreux pays arabes, dont le Maroc, se sont retrouvés face à un dilemme : doivent-ils se ranger du côté du droit international, condamnant ainsi l’invasion russe, ou adopter une position neutre en faisant valoir que la région arabe n’est pas intéressée par le recours à la force ? Le conflit entre les États-Unis et la Russie qui se déroule en Ukraine ?
Les pays arabes ont été confrontés à leur premier test la semaine dernière lorsqu’ils ont exhorté les États-Unis à adopter un projet de résolution, coparrainé par l’Albanie et les États-Unis, qui était censé être adopté par le Conseil de sécurité. Malgré d’innombrables appels téléphoniques avec leurs homologues arabes, les efforts des responsables américains pour obtenir un soutien arabe significatif ont échoué, le Koweït étant le seul pays arabe à coparrainer la résolution. Même les Émirats arabes unis, un allié de longue date des États-Unis et l’un des principaux partenaires de Washington en matière de sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, se sont abstenus de voter sur la résolution, que la Russie a finalement rejetée.
Après avoir échoué au Conseil de sécurité, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN se tournent maintenant vers l’Assemblée générale, où ils cherchent à faire voter un projet de résolution révisé. Bien que l’adoption de cette résolution n’aidera pas les États-Unis et leurs alliés à mettre fin à la guerre ou à imposer des coûts juridiques à la Russie, elle vise à envoyer un message politique fort : La Russie est isolée au niveau mondial et ses actions sont rejetées par la communauté internationale.
Le dilemme du non-alignement au Maroc
Jusqu’à présent, 100 pays ont décidé de coparrainer le projet de résolution, dont seulement deux pays arabes. Les informations en provenance des couloirs des Nations unies indiquent que ce nombre sera beaucoup plus élevé d’ici aujourd’hui, lorsque le projet devrait être approuvé. À ce stade, de nombreux Marocains sont en désaccord sur la voie diplomatique que le Maroc devrait choisir.
Le Maroc doit-il se tenir aux côtés des États-Unis et donner sa voix au consensus croissant selon lequel l’invasion russe constitue une violation flagrante du droit international ? Ou doit-il s’abstenir et éviter de s’aliéner la Russie, étant donné son statut de pays disposant d’un droit de veto et le fait que le Maroc a besoin de son soutien ou au moins de sa neutralité positive sur le conflit du Sahara occidental ?
Les partisans d’une position neutre pourraient faire valoir que, puisque la Russie est un pays qui dispose d’un droit de veto et qui a retrouvé son rôle perdu de puissance mondiale influente au cours de la dernière décennie, le Maroc devrait s’abstenir de prendre toute mesure qui pourrait nuire aux relations bilatérales avec les Sahwa, et ce de plus en plus. Un géant russe résolu.
Mais une telle perspective ignore un fait essentiel : bien que les relations économiques entre le Maroc et la Russie aient pris un nouvel élan depuis 2016, elles ne rivalisent toujours pas avec le partenariat économique, militaire et sécuritaire à long terme de la Russie avec l’Algérie. La Russie est le plus grand fournisseur d’armes de l’Algérie et cette dernière est le troisième plus grand importateur d’armes au monde.
L’Algérie reste le principal allié de la Russie au Maghreb
Malgré l’ouverture du Maroc à la Russie, et plus particulièrement la visite du roi Mohammed VI en Russie en mars 2016, qui était censée annoncer une nouvelle ère dans les relations bilatérales, la Russie n’a pas changé d’un iota son attitude envers l’Occident.
Qui plus est, malgré son association avec le Maroc avec un accord de pêche qui lui permet d’exploiter les zones de pêche marocaines au large des côtes du Sahara occidental, la Russie a durci sa position sur le conflit au cours des six dernières années. Elle est passée d’une position de neutralité positive à une position de neutralité négative. Depuis 2016 en effet, la Russie a systématiquement violé le consensus dominant autour des résolutions du Conseil de sécurité sur le Sahara en s’abstenant sur chaque résolution adoptée au cours des six dernières années.
Par exemple, avant l’adoption de la résolution 2414 en 2018, la Russie a fortement rejeté le langage qui demandait que le Polisario soit tenu responsable de la tension qui a éclaté dans la région de Guerguerat. Au lieu de cela, Moscou a cherché à obtenir du Maroc qu’il partage la responsabilité de cette tension. La Russie s’est également systématiquement opposée à l’utilisation du nouveau langage dans les résolutions du Conseil de sécurité qui appellent toutes les parties au conflit du Sahara à s’engager à parvenir à une “solution politique réaliste, pratique et durable à la question du Sahara occidental sur la base d’un règlement”.
Au cours des six dernières années, la Russie n’a pas fait cette tentative répétée de l’Algérie en cherchant à inclure dans lesdites résolutions un langage qui reflète sa position sur le conflit, en particulier sa volonté d’indiquer la nécessité d’un référendum d’autodétermination.
Pour retourner la faveur et exprimer sa gratitude à la Russie, l’Algérie a décidé de voter contre le projet de résolution de l’UNAG sur l’invasion de l’Ukraine, qui vise à isoler la Russie au niveau mondial. Les observateurs au Maroc devraient considérer cette position comme un cadeau du ciel, car elle expose la duplicité et l’hypocrisie de l’Algérie.
Le soutien de l’Algérie à la Russie, malgré sa violation flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, dément l’affirmation de longue date de l’Algérie selon laquelle son soutien diplomatique, militaire, financier et politique au Polisario fait partie intégrante de son engagement à respecter les principes du droit international tels que consacrés par la Charte des Nations Unies. Le rejet total par l’Algérie de toute condamnation de la guerre de la Russie contre l’Ukraine pourrait devenir le tombeau de sa passion de longue date pour la défense des peuples sous occupation étrangère et l’usage de la force.
Pendant plus de cinq décennies, l’activisme algérien pro-Polisario a été libre et a bénéficié de la sympathie d’une grande partie des médias, de l’opinion publique internationale et du monde universitaire pour sa prétendue défense de principe du droit international. Mais lorsqu’il a été confronté à un véritable test concernant le recours à la force contre un État souverain et la violation de son intégrité territoriale et de sa souveraineté, l’establishment politique algérien a décidé de se retirer de ses principes proclamés de longue date et de sa rhétorique vide pour se ranger aux côtés d’un État qui a violé le droit international.
Le Maroc devrait saisir cette occasion pour démontrer son engagement ferme envers le droit international et les principes fondamentaux qui régissent les relations internationales. Le soutien au projet de résolution parrainé par les États-Unis est conforme aux piliers de la politique étrangère du Maroc : la défense de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des pays, la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays, et l’abstention du recours à la force pour résoudre les différends entre les pays.
Le Maroc a clarifié cette position dans la déclaration qu’il a publiée quelques jours après le déclenchement des derniers combats entre la Russie et l’Ukraine. L’adoption d’une résolution de l’UNAG parrainée par les États-Unis condamnant la Russie placerait non seulement le Maroc du bon côté de l’histoire, mais renforcerait probablement ses relations avec les États-Unis et ses alliés de l’OTAN.
Une longue histoire de relations entre les Etats-Unis et le Maroc
En outre, le Maroc a de nombreuses raisons de soutenir le projet de résolution, et il n’y a presque aucune raison de choisir de s’abstenir ou d’être absent lors du vote.
Les États-Unis sont de loin l’allié militaire et sécuritaire du Maroc. Depuis 2004, les États-Unis ont désigné le Maroc comme l’un de leurs principaux alliés non-OTAN. Cela a contribué à renforcer les relations militaires entre les deux pays. Le Maroc effectue plus d’exercices militaires avec les États-Unis que tous ses autres partenaires militaires réunis. Les deux pays sont liés par un accord de libre-échange, qui est le seul accord que les États-Unis aient signé avec un pays africain.
Plus important encore, les États-Unis ont reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, réalisant ainsi l’un des principaux objectifs de la diplomatie marocaine dans ses relations avec les États-Unis au cours des cinq dernières décennies. Bien que l’administration Biden semble jouer un rôle d’équilibriste en ce qui concerne le soutien de Washington à la souveraineté du Maroc, elle s’en est tenue à la nouvelle politique américaine sur le Sahara occidental qui a été adoptée dans les derniers jours de l’administration Trump.
Sans adopter avec enthousiasme l’annonce faite par l’administration Trump le 10 décembre, Biden et Whitty ont tenu à décevoir les espoirs de tous ceux, notamment les lobbyistes algériens, qui avaient poussé et espéré un revirement majeur de la position pro-marocaine des Etats-Unis. .
Même avant de reconnaître officiellement la souveraineté du Maroc sur les provinces du sud, les États-Unis ont longtemps soutenu la position du Maroc. La veille de la Marche verte de novembre 1975, par exemple, ils ont empêché le Conseil de sécurité des Nations unies d’adopter une résolution visant à condamner la marche. Alors que le Maroc affrontait l’Algérie et le Front Polisario dans une guerre de 16 ans, les États-Unis étaient le principal fournisseur d’armes au Maroc, et depuis lors, ces armes américaines ont aidé le Maroc à contrôler ses ennemis.
À la fin des années 1990, les États-Unis ont persuadé le Maroc d’accepter de déléguer une partie de son autorité à la population sahraouie en soumettant au Conseil de sécurité une proposition de large autonomie locale sous souveraineté marocaine. Après des années de négociations secrètes entre de hauts responsables américains et marocains, le Maroc a finalement soumis son plan d’autonomie au Conseil de sécurité en avril 2007.
Les États-Unis ont immédiatement pesé de tout leur poids sur la proposition marocaine, l’administration Bush ayant tenté à deux reprises – en avril et en octobre – de persuader les membres du Conseil de faire de la proposition marocaine la base d’une solution politique. Cependant, la proposition américaine s’est heurtée à l’opposition de la Russie, du Royaume-Uni et de l’Espagne.
Une analyse comparative des positions et actions russes et américaines sur le Sahara Occidental montre clairement quelle voie le Maroc devrait choisir. Il n’y a aucun doute que le Maroc, en donnant son vote au projet de résolution sur l’Ukraine, contrarierait les Russes. Pouvons-nous alors imaginer un scénario dans lequel la Russie se vengerait du Maroc ? Il est évident qu’étant donné les relations russo-algériennes, il n’y a aucune possibilité pour la Russie de se ranger du côté du Maroc au Conseil de Sécurité.
Il est peu probable que Moscou soutienne le Maroc sur la question du Sahara
En ce qui concerne le Sahara Occidental, la Russie est susceptible de maintenir la position qu’elle a maintenue au cours des six dernières années : s’abstenir des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et exprimer son mécontentement face au langage pro-marocain. Il est très peu probable que la Russie fasse un pas en avant et oppose son veto à ces décisions. Cela pourrait signifier la perte de ses intérêts économiques et de sécurité au Maroc, un luxe que la Russie ne peut se permettre, surtout avec son isolement croissant sur la scène mondiale.
En outre, un veto peu probable servirait les intérêts du Maroc. Le Maroc exerce sa souveraineté depuis 1975 et un veto russe pourrait signifier la fin du processus politique mené par l’ONU au Sahara, ce qui va à l’encontre des intérêts de l’Algérie.
Le Maroc devrait intensifier son approche et soutenir le projet de résolution parrainé par les Etats-Unis. Un tel geste pourrait renforcer la confiance entre le Maroc et les États-Unis et donner plus de raisons aux parties prenantes américaines à travers le spectre politique de soutenir le Maroc dans sa quête pour mettre fin au conflit du Sahara Occidental. Ou du moins, cela pourrait aider à cimenter les gains diplomatiques que Rabat a réalisés au cours des cinq dernières années en faisant comprendre à l’establishment américain que le soutien de la position du Maroc sur le Sahara devrait devenir une priorité de la politique étrangère américaine dans la région du Maghreb.
Plaidoyer pour les positions de l’Algérie
Plus important encore, elle incitera tous les membres influents de l’establishment politique américain qui ont longtemps sympathisé avec l’Algérie et le Front Polisario à repenser leur position. Au cours des deux dernières décennies, les membres du lobby algérien à Washington ont bénéficié de la présence d’un important courant de politiciens qui ont accepté le discours algérien de gauche et son engagement déclaré envers le droit international, le respect de la souveraineté des Etats, l’inviolabilité des frontières et la défense des droits de l’homme.
Le succès de l’Algérie à influencer les opinions de nombreux politiciens américains avec la carte des droits de l’homme – en particulier pendant les deux mandats du président américain Barack Obama – est dû à sa capacité à se présenter comme l’héroïne du peuple opprimé.
Cela lui a permis non seulement de contrecarrer les efforts du Maroc pour obtenir un soutien critique des États-Unis au conflit, mais aussi d’envenimer les relations maroco-américaines. Comme ce fut le cas lorsque le Maroc a décidé d’annuler la formation militaire d’Assad en 2013 pour protester contre la décision des États-Unis de soumettre au Conseil de sécurité de l’ONU un projet de résolution demandant la mise en place d’un mécanisme de surveillance des droits de l’homme au Sahara occidental et dans les camps de Tindouf.
Le soutien de l’Algérie à l’invasion de l’Ukraine par la Russie fera s’effondrer son image de défenseur désintéressé et de principe des droits des peuples opprimés. Dans le cas où le Maroc soutient la résolution parrainée par les États-Unis sur l’Ukraine, il peut gagner le soutien de tous les secteurs encore hésitants de l’establishment politique américain, renforçant ainsi sa position d’allié le plus important et le plus fiable des États-Unis au Maghreb.
Le conflit russo-ukrainien pourrait devenir un moment déterminant dans les relations du Maroc avec les États-Unis. Il pourrait fournir une nouvelle opportunité pour le Maroc de faire de nouveaux gains diplomatiques dans sa quête pour mettre fin au conflit du Sahara Occidental.
Le Maroc devrait soutenir davantage cette résolution car les résolutions de l’Assemblée générale n’ont qu’une portée symbolique contrairement aux résolutions du Conseil de sécurité qui ont une portée plus politique et peuvent avoir des conséquences politiques et économiques importantes. Le Maroc n’a pas encore saisi cette opportunité pour s’affirmer comme une puissance régionale émergente qui honore ses engagements et ses obligations, qui soutient ses alliés en cas de besoin et qui ne ménage aucun effort pour faire respecter les normes du droit international.
La nature et la qualité des relations du Maroc avec ses alliés américains peuvent maintenant être déterminées, et Rabat doit se montrer à la hauteur de la situation et adopter une position qui serve ses intérêts stratégiques à court, moyen et long terme.