Concentrateurs d’oxygène, campagne d’information, collecte de nourriture… Des chaînes de solidarité se mettent en place, tandis que les autorités sont critiquées pour leur immobilisme.
Des liasses de billets, des bijoux en or et des pièces de monnaie étalées sur une table. L’image, diffusée le 30 juillet, a fait le tour des réseaux sociaux algériens, soulevant autant d’admiration que d’inquiétude. Elle montre le butin récolté, en toute légalité, par des jeunes d’Oum El Bouaghi, dans l’est du pays, pour aider l’hôpital saturé de leur ville et les malades atteints du coronavirus.
Depuis le début de l’été, l’Algérie connaît une augmentation sans précédent des cas de Covid-19 avec des pics record de contaminations et de décès. Mercredi 4 août, l’Algérie a officiellement frôlé les 1 500 cas et enregistré 34 morts en 24 heures, a annoncé le ministère de la santé. Un chiffre des contaminations quotidiennes en baisse par rapport à la semaine précédente, pendant laquelle le seuil inédit des 2 000 cas avait été atteint. Ces statistiques ne refléteraient pas la gravité réelle de la situation, selon les professionnels de santé.
Le gouvernement, accusé d’avoir mal anticipé le rebond épidémique après plusieurs mois d’accalmie, peine à faire face à cette troisième vague dopée par le variant Delta, à l’origine de 71 % des cas selon l’Institut Pasteur d’Algérie. Dans des régions comme Sétif et Skikda, dans l’Est, et Tlemcen, dans l’Ouest, les hôpitaux sont submergés. Critiquées pour leur immobilisme, les autorités se sont engagées à accélérer la campagne de vaccination et à doter les hôpitaux en matériels nécessaires, dont 15 000 concentrateurs d’oxygène commandés à l’étranger, a annoncé le premier ministre, Aïmene Benabderrahmane, le 29 juillet.
D’après les données agrégées par la Banque mondiale, seulement 8 % des Algériens ont reçu à ce jour une première dose de vaccin. Au total, 9 millions de doses mêlant vaccins Spoutnik V, AstraZeneca, Sinovac et Sinopharm ont été acheminées dans le pays. Mais près de 9,2 millions de doses supplémentaires sont attendues en août, a assuré M. Benabderahmane.
En attendant, la société civile et la diaspora algérienne s’efforcent de palier le manque. Les supporteurs du Mouloudia Club d’Alger, équipe de foot la plus populaire du pays, ont annulé les célébrations du centenaire du club, le 7 août, et promis de reverser les fonds collectés par les ultras et supporteurs aux malades du Covid-19. Des industriels, notamment dans le secteur agroalimentaire, ont également financé des dizaines de générateurs d’oxygène.
Les initiatives abondent surtout en ligne. Suivie par plus de 25 000 personnes sur les réseaux sociaux, Soumia S. a lancé avec une amie une cagnotte qui a atteint 1 milliard de centimes de dinars (environ 50 000 euros). Des dons qui leur permettent notamment de livrer de la nourriture aux médecins et aux gardes-malades qui veillent sur des proches hospitalisés. « Nous allons bientôt recevoir des concentrateurs de l’étranger. Nous commandons aussi des médicaments anticoagulants, des masques à oxygène, des fortifiants… Des personnes nous font des dons en nature comme de la nourriture et des couches pour les malades », explique la jeune femme, qui collabore avec une association locale pour la logistique et publie régulièrement les factures pour prouver les achats effectués et par souci de transparence.
Tous n’ont pas ses scrupules… Les arnaques et les faux numéros pullulent. Mais, « s’il n’y avait pas ces milliers d’associations qui essaient de combler le manque énorme de prévention et de matériel, la situation serait vraiment bien pire », assure Mehdi Boukari, membre de Medsa Al Jazair, une association d’étudiants en médecine créée en 2015. Pour endiguer la propagation du virus, cette dernière procède à des campagnes d’affichage en collaboration avec les administrations publiques, vérifie la disponibilité des praticiens et organise des téléconsultations pour soutenir les équipes médicales épuisées par des mois de travail.
Lutte contre les fausses nouvelles
A travers la « Mission Oxygène », les étudiants s’efforcent, eux aussi, de faire entrer du matériel médical – surtout des concentrateurs –, par le biais des membres de la diaspora. « Nous sommes en lien avec le ministère des transports et la compagnie aérienne nationale Air Algérie, pour tenter d’exonérer les voyageurs qui amènent du matériel des frais d’excédents de bagage », explique Mehdi Boukari, lui-même en troisième année de médecine.
Un avion-cargo Air Algérie est par ailleurs arrivé mardi à Alger, avec 20 tonnes de matériel médical neuf collecté par l’Association franco-algérienne de pneumologie (AFAP), basée en France. « Il comprend des concentrateurs d’oxygène de 5 et 10 litres, des appareils de pression positive continue, des appareils de ventilation non invasive, des aspirateurs de mucosités, des nébuliseurs et des lits médicalisés », détaille l’association dans un communiqué.
Une grande attention est également portée chez les soignants à la prévention, et notamment à la lutte contre les fausses nouvelles. « Depuis le début de la pandémie, nous publions des infographies sur la façon de protéger sa personne et sa famille. On sensibilise aussi le grand public au variant Delta et informons sur l’intoxication à l’oxygène. Dans nos vidéos, nos professeurs répondent aux questions que les gens se posent actuellement », souligne Imene Abouriche, vice-présidente de l’Association scientifique des étudiants en pharmacie d’Alger (ASEPA).
Cette mobilisation de la société civile, bien que saluée, fait aussi grincer des dents. Amina Afaf Chaieb, membre du mouvement citoyen et politique Ibtykar, qui s’inscrit dans le soulèvement populaire du Hirak, ne décolère pas. « Cette solidarité est à l’honneur des citoyens qui, par toutes les crises qu’a traversées l’Algérie, ont su être au rendez-vous. Mais le constat c’est qu’en face on a un Etat complètement défaillant, qu’on dénonçait bien avant le Covid. Toutes les sorties et mesures prises ont été mal pensées ou pas à la hauteur des enjeux », déplore la jeune femme, qui qualifie de « mépris » le silence dans lequel s’est muré le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, sur la situation sanitaire.