Le journaliste et correspondant du quotidien Liberté à Tamanrasset, Rabah Karèche, a passé, hier, sa 80e nuit en prison pour un délit de presse. Son cas inquiète et renseigne sur l’attitude du pouvoir en place vis-à-vis de la presse et des libertés en général.
C’est ce qu’ont souligné, hier à Alger, les avocats et membres du collectif de défense des détenus d’opinion, Mes Zoubida Assoul et Saïd Zahi. Intervenant lors d’une conférence de presse convoquée pour annoncer la création du comité national de soutien à Rabah Karèche et le lancement d’une pétition pour demander sa libération, ils reviennent longuement sur cette affaire «qui intervient pour ternir encore davantage l’image de l’Algérie, déjà très mal classée au plan international en matière de la liberté de la presse».
«Les lois du pays, notamment la Constitution, interdisent, dans son article 54, l’emprisonnement des journalistes pour des délits de presse. Le même article consacre aussi la liberté de la presse. Malheureusement, en Algérie, il y a un énorme fossé entre ce que dit la loi et les pratiques sur le terrain», regrette Me Zoubida Assoul.
Soulignant que la liberté de la presse est une question fondamentale, l’avocate dénonce «un subterfuge adopté pour requalifier l’affaire de Rabah Karèche et ne pas appliquer les dispositions de la Constitution qui ne permet pas son emprisonnement». «On a poursuivi le journaliste sur la base de l’article 79 du code pénal et des articles 95 et 95 bis de la loi contre le discours de haine. Or, ces articles n’ont rien à voir avec cette affaire. Rabah Karèche n’a pas inventé l’information contenue dans son article. Il n’y a donc pas de diffusion de fausses informations», souligne-t-elle, dénonçant, au passage, «l’intervention du président de la République dans cette affaire»
«En émettant un avis sur une affaire en cours d’instruction, le chef de l’Etat influe indirectement sur son cours. Sans cette intervention, l’affaire n’aurait pas pris une nouvelle tournure. Aujourd’hui, le procureur près le tribunal de Tamanrasset a fait appel de l’arrêt de renvoi du juge d’instruction qui a renvoyé le dossier pour la programmation d’un procès, au prétexte qu’il faut mener un complément d’enquête», précise-t-elle.
Abondant dans le même sens, Me Saïd Zahi rappelle aussi le cas du journaliste Khaled Drareni condamné à deux ans de prison «suite à l’intervention du chef de l’Etat et du ministre de la Communication, Amar Belhimer, qui ont influé, même indirectement, sur le dossier en raison de leurs déclarations». Selon lui, Rabah Karèche «devrait être couronné au lieu de l’envoyer en prison».
«Il est en prison parce qu’il a assumé, avec beaucoup de professionnalisme, sa mission d’informer. Il a attiré l’attention sur un sérieux problème engendré par le nouveau découpage administratif. C’est une réalité. Où est donc l’atteinte à l’unité nationale et le discours de haine ?» demande-t-il.
Et d’ajouter : «Ce qu’a rapporté Rabah Karèche n’est qu’une partie infime de ce problème. C’est le pouvoir qui doit se remettre en cause, car il a promulgué des lois en urgence, sans les mûrir.»
Ce faisant, les deux avocats dénoncent une campagne acharnée contre les libertés, «comme le confirment les dernières poursuites enclenchées contre de brillants universitaires». Intervenant par la même occasion, Fethi Ghares, coordinateur du MDS, dénonce «le système qui ne veut pas d’un journaliste comme Rabah Karèche».
Pour rappel, l’appel du procureur de la République près le tribunal de Tamanrasset sera examiné demain 29 juin. En cas de rejet, le tribunal devra programmer le procès du journaliste dans un délai d’un mois.