La France «porte une lourde responsabilité» dans le génocide «prévisible» des Tutsis en 1994 au Rwanda et refuse toujours de reconnaître son rôle dans cette tragédie, estime un rapport commandé par Kigali à un cabinet d’avocats américain et publié lundi.
Cette enquête de près de 600 pages, commandée en 2017 par le Rwanda au cabinet Levy Firestone Muse, qualifie la France de «collaborateur indispensable» du régime hutu qui a orchestré le massacre en trois mois de plus de 800.000 personnes, essentiellement au sein de la minorité tutsi, selon les chiffres de l’Onu.
«Lourde responsabilité de Paris»
Elle rejette par ailleurs l’idée que Paris était «aveugle» face au génocide qui se préparait, comme l’a récemment conclu une commission d’historiens français dirigée par Vincent Duclert et mise sur pied par Emmanuel Macron.
«L’État français n’était ni aveugle ni inconscient au sujet d’un génocide prévisible», assurent les auteurs du rapport. Au contraire, ils estiment que la France savait qu’un génocide se préparait mais a continué à apporter «un soutien indéfectible» au régime hutu du Président Juvénal Habyarimana, même lorsque ses intentions génocidaires «étaient devenues patentes».
«Notre conclusion est que l’État français porte une lourde responsabilité pour avoir rendu possible un génocide prévisible», affirment les auteurs qui ont étudié plusieurs millions de pages de documents et interviewé plus de 250 témoins.
Leur enquête n’a cependant pas pu établir de preuves quant à la participation de responsables ou du personnel français aux tueries qui se sont déroulées entre avril et juillet 1994.
Le rôle de la France, accusée de n’avoir pas assez fait pour prévenir ou interrompre les massacres voire d’en avoir été complice, empoisonne depuis des années les relations entre Paris et Kigali, où Paul Kagamé, ancien chef de la rébellion majoritairement tutsi du Front patriotique rwandais (FPR), est au pouvoir depuis que celle-ci a mis fin au génocide en renversant le régime hutu.
Rapport Duclert
La publication du rapport Muse intervient quelques semaines après celle du rapport Duclert, lequel a conclu à des responsabilités «lourdes et accablantes» de la France dans la tragédie, tout en estimant que «rien ne vient démontrer» qu’elle s’est rendue complice du génocide.
Peu après sa publication, le Président Kagamé avait estimé que ce travail constituait un «important pas en avant».
Le génocide a débuté le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat contre l’avion du Président Habyarimana, abattu au-dessus de Kigali. En quelques heures, des milices hutu ont commencé à tuer des Tutsis et des Hutus modérés, à grande échelle et avec une brutalité extrêmes.
Selon le rapport Muse, aucun État ne travaillait aussi étroitement avec le régime hutu que la France, alors présidée par François Mitterrand, désigné comme le principal «responsable de l’appui inconsidéré» de son pays à un régime qui se préparait au génocide.
Une opération française pour «enterrer son passé»?
La France a fourni un soutien militaire et politique afin de protéger ses propres intérêts et a ignoré les alertes internes, tandis que les discours haineux et les violences contre les Tutsis progressaient, selon le texte.
«Seul l’État français a été un collaborateur indispensable dans l’établissement d’institutions qui deviendraient des instruments du génocide. Aucun autre État étranger n’avait connaissance du danger représenté par les extrémistes rwandais tout en appuyant ces mêmes extrémistes. Le rôle du pouvoir français a été singulier. Pourtant, l’État français n’a toujours pas reconnu son rôle et ne s’en est toujours pas officiellement excusé», peut-on lire.
Le rapport Muse accuse la France d’avoir mené ces 25 dernières années «une opération de camouflage afin d’enterrer son passé au Rwanda».
«Cette opération de camouflage se poursuit aujourd’hui», ajoute le texte, soulignant que plusieurs demandes de documents liées à l’enquête ont été ignorées par Paris.
Le 7 avril dernier, 27 ans jour pour jour après le début du génocide, la France a annoncé l’ouverture au grand public d’importantes archives, notamment celles de M. Mitterrand.
Cette décision est saluée comme une possible «évolution vers la transparence» par le rapport Muse.
AFP