Pour avoir assisté à de multiples « revues de situation » du FMI aux quatre coins du monde, nous pouvons raisonnablement affirmer que la logique austéritaire des préconisations est rarement en phase avec les attentes des populations en proie aux difficultés protéiformes résultant d’une crise profonde et globale.
Non pas tant par un quelconque machiavélisme froid ou cynisme assumé, le FMI cherche toujours à s’approprier les réalités complexes et contradictoires et auxquelles il tente d’apporter une réponse bien plus politique que technique, qu’on ne le croit trop souvent.
Le diable se cache dans les détails dit Nietzsche, car c’est dans les effets convergents des différentes préconisations, proposées par « les experts » du FMI, que se cache la « doctrine de la nécessité » (résoudre la crise).
Il ne faut jamais oublier que le FMI est le représentant emblématique de « la gouvernance par les nombres » et de « l’harmonie par le calcul », comme si toute la réalité pouvait être réduite à une quantification exhaustive et mise de force en équations.
Pas étonnant que le FMI n’est rien à dire sur la manière de combattre toutes les formes de prédation-malversation et leurs puissantes empreintes sur les relations économiques et sociales.
Corruption, captation de rentes, ententes illicites, dettes irrécouvrables, arriérés croisés, rescrits fiscaux (accords fiscaux personnalisés), ne sont que des épiphénomènes, qui « sortent » du cadre macroéconomique de son approche alors même qu’ils sont consubstantiels à ce même cadre.
Il est vrai que la préoccupation unique du Fond est « le retour aux grands équilibres ».
La lecture du dernier rapport en date du 17 Février est édifiante à plus d’un égard !
Observons tout d’abord, que tant la forme que le fond sont emprunts d’une grande prudence.
Peut- être, les représentants du FMI ont-ils encore en mémoire leur « énorme erreur » (admise et reconnue) s’agissant des effets négatifs largement sous-estimés du plan d’austérité imposé à la Grèce.
Du coup, le FMI ne dit rien de plus que ce que tout tunisien avisé ne sache pas déjà, aussi bien au plan du diagnostic empirique (constat des déficits mais pas des causes qui les ont généré), qu’au plan des dispositions à mettre en œuvre, -d’une orthodoxie et d’un classicisme à toutes épreuves-, en vue de restaurer à moyen terme, la stabilité financière du pays, sa compétitivité, et le retour à une croissance plus inclusive et plus soutenable !
Si le FMI sait que ces préconisations recueillent l’assentiment d’une fraction des élites économiques, il sait aussi qu’elles font aussi l’objet de controverses, voire de désapprobations appuyées de larges franges de la population quant à leurs conséquences.
On ne s’étonnera donc pas de la timidité du FMI (compte-tenu du contexte politique) dans la mise en œuvre de ses préconisations, qui se trouvent être largement lissées dans le temps (voir les analyses prévisionnelles), et laissées à la totale discrétion des pouvoirs politiques ! Le propos contraste étrangement avec le discours ambiant sur l’imminence d’une faillite du pays !
En deuxième lieu, cependant, le FMI laisse entendre qu’une nouvelle assistance de la communauté financière internationale (le FMI parle au nom de tous les bailleurs de fonds) serait conditionnée par l’initialisation de réformes. En ce sens, le FMI ne déroge pas à son sacro-saint principe de « money against reform » (argent frais, contre, réforme), ouvrant ainsi la voie à une négociation de type « poker menteur » (bluffs et accommodements).
On est malgré tout, encore très loin d’un plan d’ajustement structurel, ni même encore d’une reconduite du Mécanisme Elargi de Crédit (2016 – 2020 portant sur 2,8 Mds US$).
Chat échaudé craint l’eau froide, dit le dicton, le FMI ne veut pas se retrouver, -une nouvelle fois-, dans l’obligation de sursoir à ses engagements (1,2 Mds des 2,8 Mds UD$, de la facilité de crédit promise, ont été annulés par le FMI en 2020) faute de respect des promesses faites par les pouvoirs publics. Tel Ponce Pilate (qui s’en lave les mains), le FMI s’en remet à un « dialogue national » qu’il adjure de formuler des réponses crédibles et socialement supportables. Tout est là !
En troisième lieu, et en dépit de la complexité de la crise sanitaire et socioéconomique, le FMI campe toujours sur sa doctrine étriquée de « réduction de la dépense publique ».
A l’exception de la santé et des actions en direction de la pauvreté, le FMI préconise le recentrage de l’Etat sur ses seules prérogatives régaliennes et stratégiques.
De fait, l’ensemble du secteur public est dans le viseur de l’institution de Bretton Woods. L’Etat doit réduire massivement ses transferts et subventions en tout genre. Il doit dans la foulée réaménager l’ensemble des entreprises publiques, voire se désengager de certaines d’entre-elles (concessions, privatisations, PPP). *
Une politique austéritaire qui s’en prend également à la fonction publique proprement dite, jugée pléthorique et par trop onéreuse !
Etrangement le FMI reste muet sur les répercussions sociales de telles mesures, ce qui toutefois, n’a pas échappé au gouvernement en place, qui ne semble pas disposé à en assumer les conséquences.
Empêtré dans son modèle de calcul prévisionnel de sortie de crise, le FMI est assurément dans l’incapacité d’imaginer et de formuler une alternative à l’usage unique, abusif, mais dévastateur de ce qu’il fait de son « multiplicateur budgétaire » (une réduction de 1 DT de dépense publique produirait à terme une augmentation de 0.5 ou 0.7 DT de croissance) !
Sauf qu’à court terme l’effet prévisible serait une nouvelle décroissance du revenu national. L’impasse est totale !
En définitive et en réalité, seule l’évolution de la conjoncture générale (tant politique qu’économique) va décider de la direction à suivre ! L’Etat sait que la communauté internationale n’abandonnera pas le pays à son triste sort, même si cela doit l’obliger à faire mine d’entamer certaines réformes !
Le FMI ne semble toujours pas convaincu qu’il faudrait éviter de reproduire les erreurs commises après toute crise majeure quand l’adoption précipité d’une politique d’austérité tous azimuts, conduit fatalement et inexorablement à casser la reprise et à prolonger dangereusement l’état de marasme économique. Il est vrai, dit l’adage, que les conseillers ne sont pas les payeurs !
Les semaines ou mois à venir, devraient tout de même apporter un début de réponse, car ni le pouvoir en place ni la communauté internationale ne peuvent se satisfaire de cette dégradation continue de la situation économique, dégradation qui pourrait déboucher sur une nouvelle explosion sociale !
Hadi Sraieb, Docteur d’Etat en économie du développement
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