Afin de comprendre l’origine de cette crise qui touche les banques, il est impératif de revenir à son origine et de comprendre comment le système bancaire algérien qui était, il y a de cela dix ans, en situation de surliquidité, est passé à une situation de pénurie du cash et risque de d’ébranler toute la stabilité financière de l’économie.
La liquidité bancaire, qui permet aux banques de faire face à leurs engagements à court terme et qui met en danger leur solvabilité, devient une sorte d’entrave pour le système bancaire algérien où la liquidité bancaire n’était que de 612 milliards de dinars en novembre 2020, selon le dernier bilan de la Banque d’Algérie.
Selon le docteur en économie et ancien enseignant à l’université de Constantine, Farouk Nemouchi, «la liquidité bancaire avait été soutenue par les dépôts d’hydrocarbures liés à la rente».
Mais en « raison de l’épuisement de cette rente, les dépôts bancaires issus des hydrocarbures ont chuté de 10% en 2017» pour reprendre l’année suivante, en raison non pas de la hausse des revenus de Sonatrach, mais du remboursement par le Trésor d’une partie de ses dettes envers l’entreprise nationale des hydrocarbures.
Or, cela n’a pas été suffisant pour faire face à la demande, et le gouvernement a opté d’ailleurs, dès la fin de l’année 2017, pour le financement non conventionnel renflouant les avoirs bancaires avec un montant qui dépasse les 6000 milliards de dinars. A la même période, la Banque d’Algérie a soutenu la liquidité bancaire en optant pour le refinancement des banques de la place.
Par conséquent, en 2018, «la masse monétaire a augmenté de 12,2% et devant ce danger, la BA a mis en place une politique monétaire restrictive, baissant cette masse de 8% en 2019», a encore expliqué M. Nemouchi.
Cependant, les billets en circulation ont augmenté de 12% entre janvier et décembre 2020, ce qui constitue «un échec total de capter l’argent de l’informel», a-t-il ajouté.
Poursuivant ses explications sur les raisons qui ont aggravé la situation de la liquidité, le Dr Nemouchi a évoqué la crise sanitaire, qui a induit une hausse du taux de chômage ainsi que la perte du pouvoir d’achat, suite à la hausse de l’inflation.
De ce fait, «les ménages se sont retrouvés dans une situation de crise en consommant leurs épargnes suite à la baisse de leurs revenus et la hausse des prix des produits», d’où s’explique la forte pression sur les guichets des banques et de la poste. Selon le même interlocuteur, cette crise financière n’est que le résultat d’une crise économique qui guette le pays depuis plusieurs années.
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Ainsi, avec «la politique monétaire restrictive de la BA, les accès aux crédits deviennent une problématique impactant directement la croissance». Faisant face à une crise de récession économique, le Dr Nemouchi a averti contre «toute nouvelle injection de monnaie dans l’économie qui sera une grave dérive».
A partir de là, on se demande si les dernières émissions de nouveaux billets de 2000 DA ne visent pas une sorte de soutien pour la liquidité bancaire. Selon lui, il est urgent pour que «la Banque centrale trace des solutions structurelles qui peuvent mobiliser les 5000 mds de dinars de l’informel pour le secteur bancaire».
Les scandales financiers ont aggravé la situation de liquidité
Autre facteur qui a aussi impacté la liquidité bancaire, ce sont les restrictions faites sur le commerce extérieur, a estimé le consultant en management, Mohamed Saïd Kahoul, qui explique que «souvent pour honorer les paiements des lettres de crédits, les privés viennent déposer en monnaie fiduciaire la contrepartie».
En outre, il a considéré que «le problème est conjoncturel, parce que la monnaie fiduciaire domine les transactions et même quand l’Etat honore les prestataires privés en monnaie scripturale, ces derniers retirent souvent de grosses sommes de leur compte pour payer les salaires et acheter leurs intrants».
M. Kahoul a estimé aussi que «les scandales financiers et les procès ont aggravé la situation de liquidité». Il explique que «beaucoup de personnes se font discrètes sur les capitaux détenus en monnaie fiduciaire et préfèrent l’ombre, en attendant des jours cléments». «En un mot, c’est le poids pris par l’informel dans sa large dimension qui fixe le tempo», a soutenu encore le même consultant.
M. Kahoul a, par contre, conseillé de bancariser les ressources du secteur agricole qui, selon les chiffres officiels, tournent autour de 25 milliards de dollars. Ce qui constitue une ressource non négligeable pour le secteur bancaire.
Toutefois, d’autres financiers ont évoqué la problématique de la perte de valeur du dinar qui amène les gens à épargner en devise.
Depuis l’annonce de la baisse programmée de la valeur du dinar, «certains petits et grands épargnants ont pris la décision de convertir leur argent en monnaie de refuge plus sûre, à savoir en devise ou bien en or», a expliqué le financier Souhil Meddah, pour ne pas subir les pertes liées au recul de la valeur de la monnaie nationale, ce qui a impacté directement l’épargne bancaire en dinars.
Avec autant d’agrégats, certains économistes expriment leur souhait d’aller vers des solutions plus strictes afin de bancariser l’argent de l’informel. Autrement dit, aller carrément vers un changement des billets de banque, une solution qui ne sera pas une tâche facile pour les autorités financières du pays.