Derrière la demi-finale de Ligue des champions mercredi entre le PSG et Manchester City se joue un autre match, celui entre le Qatar et les Émirats arabes unis, propriétaires des clubs. Engagés dans des stratégies d’influence à travers le sport – et notamment le football –, les deux États voient dans ce match au sommet l’occasion d’affirmer leur supériorité dans le golfe Persique.
Le “derby du Golfe”, “The Oil Derby”, le “Golfico”, le “Cashico”… Entre le PSG et Manchester City, c’est plus qu’une demi-finale aller de Ligue des champions qui va se disputer mercredi 28 avril. Si médias et réseaux sociaux hésitent encore sur la meilleure manière de surnommer ce duel au sommet, l’affiche sportive oppose deux puissances montantes du football européen et, à travers eux, deux États concurrents du Golfe, le Qatar et les Émirats arabes unis, engagés dans une bataille d’influence dans le sport.
“Il y a une logique à vouloir comparer ces deux clubs. Ce sont deux nouveaux entrants dans le gotha du football européen. Ce sont deux nouveaux riches, possédés par des fonds souverains en provenance de la même région du globe”, note Jean-Baptiste Guégan, auteur de “Géopolitique du sport. Une autre explication du monde” (éd. Bréal), interrogé par France 24.
D’un côté, le PSG, le joyau de Qatar Sports Investments (QSI) depuis 2011, que Doha et le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani polissent à coup de centaines de millions d’euros et de signatures de grandes stars, de David Beckham (saison 2012-2013) et Zlatan Ibrahimovic (2012-2016) à Neymar et Mbappé (depuis 2017).
De l’autre, Manchester City, transformé en 2008 en machine à gagner, grâce aux ressources illimitées du fonds émirati Abu Dhabi United Group (Adug), propriété du cheikh Mansour ben Zayed al-Nahyane.
À ces similitudes, il faut ajouter un objectif identique : remporter une première Ligue des champions pour enfin entrer dans l’histoire du football européen. Jusqu’ici, les deux clubs n’ont décroché qu’une Coupe des coupes chacun : en 1996 pour les Parisiens, en 1970 pour les Mancuniens.
Le PSG, outil de “nation branding” du Qatar
Malgré les points communs, les deux États et leur fonds souverain ont adopté des stratégies radicalement différentes avec leur jouet footballistique.
“Le Qatar est un pays qui a été traumatisé par l’invasion du Koweït par l’Irak au début des années 1990. À ce moment-là, le pays a compris que ça pouvait lui arriver aussi, car il n’avait pas d’alliés et que personne ne le situait sur la carte mondiale. Le Qatar s’est alors mis en quête de reconnaissance à travers le sport. On est dans une logique de ‘nation branding'”, explique Jean-Baptiste Guégan.
“Le PSG est le club et la marque d’un État, le Qatar. La rentabilité du projet est accessoire. Le Qatar veut se doter d’une image moderne à travers le sport et aussi se rapprocher des élites occidentales en s’implantant dans une capitale européenne”, souligne l’expert en géopolitique du football. Le choix du club parisien est évident, “la dynastie qatarie étant francophile et francophone. Ajoutez à cela les bonnes relations avec Nicolas Sarkozy, qui a pu faire le lien entre le club et QSI : le PSG faisait figure de candidat parfait pour un investissement qatari.”
Nasser al-Khelaïfi est choisi pour prendre la tête du club de la capitale. Ancien joueur de tennis, il a patiemment tissé sa toile dans le monde du sport. Ce ministre qatari sans portefeuille qui dirige beIN Media, diffuseur de la Ligue des champions, fait également partie du comité exécutif de l’UEFA. Il a par ailleurs récemment remplacé Andrea Agnelli (président de la Juventus) à la tête de l’Association européenne des clubs (ECA), la puissante organisation qui pèse sur les réformes des compétitions européennes. Dans le même temps, le Qatar continue les préparatifs pour “sa” Coupe du monde en 2022, malgré les critiques concernant les atteintes supposées aux droits de l’Homme sur les chantiers des stades.
Manchester City, une marque globale
“Pour Manchester City, on est davantage dans une logique économique. On s’efforce de créer une véritable multinationale du sport. City est au cœur d’une holding, le City Football Group (CFG), qui compte neuf clubs un peu partout dans le monde, notamment en France désormais avec Troyes [1er de Ligue 2]. Elle est le centre d’un groupe franchisé”, explique Jean-Baptiste Guégan. “L’objectif pour CFG est ainsi de créer des synergies entre clubs et d’en tirer profit à travers le développement des joueurs, leur valorisation, leurs transferts et l’explosion des droits télévisés. C’est aussi de mettre en commun des sponsors pour les adapter aux marchés locaux à travers les clubs.”
Et si du côté de Manchester, les transferts sont moins tapageurs qu’à Paris, les montants participent tout de même à l’inflation du marché : Riyad Mahrez (67,8 millions d’euros), Benjamin Mendy (57,5 millions d’euros), Kevin De Bruyne (76 millions d’euros) ou encore Bernardo Silva (50 millions d’euros). Rien ne semble trop cher pour permettre à l’entraîneur superstar Pep Guardiola de percer le plafond de verre de City en Ligue des champions.
“Pour les Émiratis, le sport sert aussi à s’implanter auprès des élites locales et nationales. Le but est d’avoir accès aux opportunités immobilières, économiques et financières avant les autres et ainsi de réaliser des investissements lucratifs dans de multiples secteurs”, analyse Jean-Baptiste Guégan.