Le 14 février, la ministre française de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a dénoncé “l’islamo-gauchisme” qui “gangrène la société et l’université”, et a chargé le CNRS d’une enquête sur le sujet. Une prise de position qui a “légitimé” certains discours et attaques, selon les chercheurs d’origine maghrébine que nous avons contactés — et qui ont accepté de nous répondre uniquement par écrit, parfois anonymement.
liste des 600 gauchistes complices de l’islam radicale (sic) qui pourrissent l’université et la France signataires (sur plus de 22 700 recensés le 18 mars) d’une pétition réclamant la démission de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
en tant que neuvième à apposer son paraphe au bas du texte, l’historienne Nahema Hanafi figure en bonne place parmi les personnes ciblées. Le 2 février déjà, une tribune relayée sur le site de l’hebdomadaire Le Point l’accusait de faire “l’apologie du cyber crime” dans son ouvrage L’arnaque “à la nigériane”. Spams, rapports postcoloniaux et banditisme social, paru quelques mois plus tôt.
La contribution, émanant d’Hubert Heckmann, maître de conférences en langue et littérature françaises du Moyen Âge à l’Université de Rouen et membre de l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires, a suscité de nombreux commentaires haineux, notamment après avoir été partagée par l’ex-cadre du Rassemblement national Jean Messiha.
“Les attaques que j’ai subies sont quelque peu antérieures à la déclaration de Frédérique Vidal, reconnaît Nahema Hanafi. En revanche, elles s’inscrivent pleinement dans la condamnation politique des études postcoloniales, inter sectionnelles et de genre par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, annonçant en octobre 2020 que ‘l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université’ et rendant une partie de la communauté académique complice de l’assassinat de notre collègue Samuel Paty. Le climat est délétère et il est certain que la prise de parole de notre ministre est venue renforcer le sentiment de légitimité des détracteurs des sciences sociales, en dehors ou au sein de l’université, alors même qu’elle devrait être la garante du principe d’indépendance de la science et des libertés académiques.”
La maîtresse de conférences à l’Université d’Angers, doublement primée pour l’une de ses productions sur la médecine et le genre, regrette que le débat n’ait pas lieu “dans le cadre d’une controverse scientifique”, mais “dans des médias dont la ligne politique est clairement identifiable”. “Le fond de mes travaux n’intéresse pas les membres de cet Observatoire […]. Le rejet épidermique de certains champs de recherche qui s’attèlent à comprendre la fabrique des hiérarchies et des inégalités sociales, pourtant reconnus au sein de l’université française comme des plus pertinents et adossés à une méthodologie rigoureuse, les fait jeter en pâture des universitaires dont ils ne lisent pas vraiment les travaux, se concentrant sur quelques phrases piochées au vol, qu’ils décontextualisent pour fédérer un lectorat conquis d’avance”, dénonce la Franco-Marocaine.