Le tabou tenace des hommes battus a été brisé. L’existence aujourd’hui d’hommes courageux qui osent parler et d’associations qui les défendent en est la preuve éloquente. La sociologue Soumaya Naamane Guessous décrit, dans un entretien à la MAP, les formes que peut prendre la violence de la femme au milieu conjugal et met en avant les différentes mutations que la relation du couple a connues.
- Votre avis sur la violence féminine contre les hommes dans le milieu conjugal?
La violence subie par les hommes est incomparable à celle subie par les femmes. Le gap est énorme, mais il ne faut pas nier qu’il existe des hommes battus, qui ont reçu un jour une gifle de la part de leurs épouses ou au maximum un coup de poing. Il faut signaler, en l’occurrence, qu’elles sont rares les femmes qui osent violenter leur conjoint, soit par peur ou parce que tout simplement ça n’émane pas de leur culture et de leur éducation.
L’épouse, en cas de discorde, fait subir à son mari une violence essentiellement verbale et psychologique surtout qu’elle n’est pas prédisposée, de par ses traditions, à affronter l’homme. Elle peut utiliser des méthodes détournées, notamment la ruse afin de déstabiliser ses habitudes à la maison, ou chercher ses petites faiblesses sur lesquelles elle va jouer pour le contrarier et provoquer sa colère.
- Les hommes violentés, pourquoi n’en parlait-on pas auparavant? Qu’est ce qui a changé aujourd’hui dans notre société?
Des hommes violentés ont toujours existé dans toutes les sociétés, dont la nôtre, soit dans la ville ou au fin fond de la campagne. Maintenant ce qui a changé c’est que le tabou tenace, touchant à la virilité de l’homme, a été brisé. La floraison des associations défendant cette question et le courage de certains hommes qui osent dire « je suis violenté et je demande justice » en témoigne.
Quant aux femmes, elles ont pris beaucoup de pouvoir au niveau du couple. Elles ont changé leur représentation même du mariage et la conception de leur place dans le couple. Qu’elles soient lettrées ou analphabètes, les femmes veulent vivre aujourd’hui d’une façon équitable dans une relation harmonieuse avec l’époux. Elles ne viennent plus au mariage tête baissée et soumise, mais elles cherchent à établir des rapports « Win Win » avec le mari.
L’homme aspire d’épouser une femme qui travaille, ce qui est légitime à l’ère du consumérisme qui marque notre mode de vie. Cette partenaire, dotée d’une vie professionnelle épanouie, devient tout simplement une femme moderne sauf que l’homme marocain, dans la majorité des cas, est resté traditionnel. Par exemple, il ne va pas l’aider à accomplir les tâches ménagères sinon c’est toute sa virilité qui est remise en question, ce qui peut le pousser à devenir violent et à alimenter la colère de sa femme à son tour.
Dépendante financièrement, cette femme, qui ne mendie plus sa nourriture ou ses habits, ne subit plus de pression et se sent en position de force.
Pour sa part, l’homme marocain, attaché à ses privilèges culturels, n’est pas encore prêt à ce changement, ce qui crée une prédisposition au sein du couple à ce que le conflit éclate. Et quand les conflits sont mal gérés, la personne, que ce soit l’homme ou la femme, peut devenir effectivement violente.
La relation époux/épouse est donc en pleine mutation. Elle peut être tumultueuse quand le mari reste prisonnier de son éducation traditionnelle alors qu’il a fait le choix d’épouser une femme moderne.
- Les femmes cherchent elles une rupture avec le modèle de relation homme-femme de la génération des mères et des grandes mères?
Effectivement. Certaines femmes ont emmagasiné des chocs, des traumatismes, des frustrations ou des mécontentements à partir de la relation homme-femme que vivaient leurs mères et leurs grand-mères.
Les mutations sociales créent des profils de femmes qui se révoltent contre les rôles traditionnels des époux.
Les jeunes mariées arrivent aujourd’hui en étant alerte et n’acceptent pas de reproduire le modèle de la femme soumise au foyer.