La dernière salve est venue du chef de la diplomatie européenne, Josep Borell. Avant lui il y a eu l’ambassadeur français à Tunis, etc. Ces sorties ont toutes la même tonalité : l’Occident n’aime pas du tout la trajectoire prise par le chef de l’Etat tunisien, Kais Saied. Ou plutôt les Occidentaux valident le calendrier, les objectifs mais pas la méthode. Pour eux tous les chemins ne mènent pas au rétablissement des institutions et de la démocratie telle qu’ils la conçoivent. Mais de là à dire que des sanctions coercitives planent sur la tête de la Tunisie…
Saied n’est pas le seul à marcher sur des oeufs, l’Occident aussi
Cette affaire est d’une complexité inouïe et Kais Saied n’est pas le seul à marcher sur des oeufs, les Occidentaux aussi. Car tout le problème est de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin dans le tour des vis des sanctions pour tordre le bras au président tunisien tout en épargnant la vie de la jeune démocratie. L’affaire n’est pas simple, mais l’exécutif aurait tort de penser que les Occidentaux ne cogitent pas sérieusement à des sanctions. Mais encore faut-il que l’Occident puisse s’ériger en donneur de leçons, au regard des dérives aux Etats-Unis, des ratés démocratiques en France et ailleurs…
De fait une sanction il y en a déjà eu quand le président américain, Joe Biden, a boudé la Tunisie pour son Sommet sur la démocratie. Mais la Tunisie n’est pas la seule logée à cette enseigne, le Sénégal aussi n’a pas été invité. Pourtant ce pays est cité parmi les grandes démocraties du continent africain, avec des élections apaisées et des alternances pacifiques depuis un paquet d’années. Mais voilà, la main de fer du président sénégalais, Macky Sall, sur ses opposants ne passe pas auprès de la nouvelle administration américaine. De la même manière que la Maison Blanche est capable de zapper un ami des USA – le Sénégal – elle est aussi capable de monter dans les sanctions contre Tunis…
Et il y a des précédents : le Mali, la Guinée et l’Ethiopie ont été rayés des accords commerciaux avec les Etats-Unis. Ces nations payent le prix des coups d’Etat, des écarts en matière de droits de l’homme, des violations des principes de la démocratie. Mais la Tunisie n’en est pas là, elle n’a pas été épinglée de la sorte par les Etats-Unis, qui sont très subtiles dans cette affaire. Par exemple au même moment où le Sénégal est boudé pour le Sommet mondial de la démocratie de Biden, le secrétaire d’Etat américain se rend à Dakar pour un investissement de plus d’un milliard de dollars. Donc la Tunisie a de bonnes raisons d’espérer en dépit de sa mauvaise posture sur la démocratie…
Les précédents égyptien, turc…
Le moins qu’on puisse dire est que le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, grand ami des Américains et des Européens, est sans doute celui qui est le plus intraitable avec les islamistes, les opposants, etc. Les prisons égyptiennes sont remplies de prisonniers politiques dont le seul tort à été de dire ‘M. le président je ne suis pas d’accord’. Bon, al-Sissi non plus n’a pas été invité au Sommet de Biden, mais les frappes occidentales s’arrêtent là. Il fut un temps où on parlait beaucoup des massacres qu’il a perpétrés dans les rangs des islamistes, où on dénonçait énergiquement en Occident les transgressions répétées et graves des droits humains. Mais c’est le silence depuis quelques années…
Mieux : le président égyptien est désormais perçu comme un solide rempart contre le terrorisme islamiste, il a même reçu la plus haute distinction française lors de son voyage controversé à Paris en décembre 2020. Le business avec l’ami français a continué de plus belle, comme si de rien n’était. Comme ça continue avec le président turc, dont les geôles débordent d’opposants emprisonnés pour des motifs fallacieux, souvent fabriqués de toutes pièces, Recep Tayyip Erdoğan qui a viré des milliers de fonctionnaires au motif qu’ils avaient fait allégeance à son ennemi historique, Fethullah Gülen. La Turquie ne fera peut-être jamais partie de l’Union européenne (UE), mais pour le reste elle commerce et échange tranquillement avec l’UE, avec les USA…
En fait le problème de la Tunisie c’est qu’elle est vulnérable économiquement, faible diplomatiquement et tend très souvent la main ces dernières années pour avoir les moyens de sa subsistance. Quand on sollicite l’étranger pour faire fonctionner son pays, il ne faut pas s’étonner qu’il s’immisce dans ses affaires intérieures. En ce moment c’est le sommet Union européenne-Union africaine qui est dans toutes les têtes. Les Européens n’ont pas été tendres avec la Tunisie dernièrement, mais cela ne veut nullement dire que le président tunisien sera mal reçu à Bruxelles les 17 et 18 février 2022…
Cela ne veut pas dire non plus que les derniers développements en Tunisie ne seront pas évoqués si Kais Saied se rend à Bruxelles. Rappelons que le Mali, la Guinée et le Burkina Faso n’ont même pas été invités à cette rencontre qui va décider du sort des 150 milliards d’euros que l’UE va décaisser. Il faut dire aussi que le Mali a chargé sa barque en virant l’ambassadeur français, point d’orgue d’un bras de fer entre la France et les putschistes à la tête du Mali. Mais la Tunisie est très loin d’être dans cette configuration. En fait si Tunis loupe ce méga rendez-vous, ce sera surtout à cause de la mollesse de sa diplomatie, à cause des mauvais signaux économiques qu’il émet depuis 10 ans et à cause de son incapacité à tenir le cap des réformes…
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