Placée en sauvegarde judiciaire, Drapor a obtenu la levée de saisies-arrêts appliquées par ses créanciers. Concrètement, ces mesures lui permettront l’accès à des fonds, jusque-là gelés et entre les mains de l’Agence nationale des ports. D’autres décisions similaires sont attendues. Le problème, c’est que ces décisions mettent en difficulté les créanciers. Au prétexte de sauver hypothétiquement une société, on dissémine les difficultés au sein du tissu économique et on contamine les sociétés bien portantes.
Prononcées début avril, ces mainlevées constituent l’un des premiers effets de la sauvegarde. Comme le redressement ou la liquidation, cette procédure entraîne, automatiquement, l’arrêt des poursuites individuelles, empêchant ainsi les actions en paiement ou les voies d’exécution (saisies, entre autres). Les créanciers devront déclarer leurs créances et attendre l’élaboration, la validation et l’exécution d’un plan de sauvegarde.
En attendant, voici là une bouffée d’oxygène pour Drapor, société aux difficultés notoires. Un sursis qui peut, théoriquement, durer 8 mois, le temps que son syndic prépare le bilan de l’entreprise. C’est, au vu de ses conclusions, que sera validé ou non le projet de plan de sauvegarde. Pour les créanciers, cela actera, en revanche, le début d’un long chemin de croix vers le paiement de leurs dus.
Attendre des années pour récupérer moins du tiers de sa créance
Au Maroc, les procédures de traitement des difficultés de l’entreprise sont longues, lentes et coûteuses. Le dernier rapport Doing Business retient une durée moyenne de 3 ans et 5 mois entre l’ouverture et la clôture du dossier. Une estimation recueillie de sources officielles. « Dans la pratique, le processus peut durer 10 ans, comme c’est le cas de General Tire », soupèse notre source.
Au bout du processus, les créanciers sont-ils bien payés ? Le même rapport fait état d’un taux de recouvrement correspondant qui ne dépasse pas 28,7 % !
« L’exécution du plan de sauvegarde peut s’étaler sur 5 ans, sans garanties réelles de paiement. Et si durant ou au terme de ce délai, la procédure est convertie en redressement, on peut encore attendre dix ans, en cas de validation d’un plan de continuation. Entre-temps, des créanciers auront concédé à leurs dépens des rééchelonnements, voire des remises de dettes », explique cet avocat spécialisé en procédures de difficultés.
>> Lire aussi : Difficultés de l’entreprise: Caution sous protection, alerte au défaut de paiement !
Des délais généreux et qui sont de surcroît « rarement respectés », rapporte notre interlocuteur. Pour cause, « leur dépassement n’est assorti d’aucune sanction », ce qui encourage les atermoiements.
Cotée en bourse, Delattre Levivier Maroc a été placée sous sauvegarde en décembre 2019. Dans la foulée, le juge-commissaire lui a accordé plus de 70 mainlevées. Plus d’une année après le jugement, le tribunal n’a toujours pas validé son projet de plan. Le livre V du code de commerce prévoit pourtant un délai maximum de 8 mois.
Dans le cas de DLM, ce délai a, certes, été interrompu pour des raisons légales, liées à l’état d’urgence sanitaire. Soumise à la même procédure, Stroc Industrie n’a pu activer son plan de sauvegarde que 11 mois après la décision du tribunal (juillet 2018).
Mais il y a pire : « A Marrakech, je suis sur un cas où le syndic n’a pas déposé son rapport, 4 ans après l’ouverture de la procédure », déplore un autre avocat.
Manque de maturité juridique et économique
En liquidation, la Samir jouit depuis 5 ans d’un délai de prolongation, permettant la continuité de son activité théorique. Pour le coup, le code de commerce ne pose aucun délai maximum. Ce qui permet au tribunal de repousser sine die la liquidation effective de l’entreprise. Et donc la vente de ses actifs ainsi que la répartition de leur prix entre les créanciers. La dernière prolongation date de ce jeudi 15 avril (3 mois supplémentaires).
Ereintantes pour les créanciers, ces dispositions existent dans les pays les plus développés, mais où on note, en revanche, une grande maturité juridique et économique. « Au Maroc, ces procédures sont le plus souvent activées trop tard et parfois à des fin frauduleuses. Elles permettent à certains chefs d’entreprise de solliciter la protection du tribunal pour se soustraire à leurs obligations vis-à-vis des créanciers », déplore cette praticienne.
La subjectivité des décisions constitue également un sujet de préoccupation. « Dans certains cas, des sociétés sont placées en sauvegarde, alors qu’elles sont clairement en cessation de paiement. Dans d’autres, elles sont mises en redressement alors qu’elles sont en situation irrémédiablement compromises, donc éligibles à la liquidation », soutient notre interlocutrice.
« Parfois, le redressement est étiré au maximum pour protéger l’entreprise, mais élude les intérêts des créanciers », témoigne-t-elle. Pourtant, l’argent du contribuable est, souvent, en jeu. Là où une entreprise est en difficulté, on retrouve toujours des créanciers publics. Les sommes en question sont, parfois, astronomiques, comme c’est le cas de la Samir (entre 16 et 72 milliards de DH). Cinq ans après sa liquidation, la Douane bataille encore pour récupérer la créance de l’Etat qui, pour sa part, ne met pas les gros moyens en ce sens.
Les petits créanciers désarmés
« Les grands créanciers disposent généralement de privilèges et de moyens d’informations pour être alertés sur les défaillances de leurs débiteurs et ainsi pour assurer le suivi des procédures. Ce n’est pas le cas des petits créanciers désarmés. Informés tardivement sur l’ouverture d’une procédure, certains déclarent leurs créances en dehors du délai de 4 mois. Leurs droits se trouvent ainsi frappés par la forclusion », rapporte cette avocate. Elle s’interroge alors : « Pourquoi les éditions d’annonces légales et judiciaires ne sont pas publiées sur internet ? »
Des procédures longues, préjudiciables pour les créanciers et souvent vaines pour l’entreprise en difficulté. Au Royaume, l’inefficacité de ces mécanismes n’est un secret pour personne. Datés de 2017, les derniers chiffres démontrent que sur 10 procédures de redressement, 9 sont finalement converties en liquidation. Au point que des sources judiciaires évoquent un mouroir pour entreprises. Il reste à évaluer l’efficacité de la sauvegarde, procédure nouvellement introduite dans le livre V.