Le président Tebboune a fait état, en juillet dernier, de ce que l’Algérie attendait de la France sur le dossier de la mémoire. Il avait refusé que l’histoire de l’Algérie soit jugée «par mimétisme par rapport à ce qui s’est fait ailleurs».
L’Algérie, qui refuse le mimétisme dans le jugement de son histoire, cherche beaucoup plus la reconnaissance des crimes coloniaux que la compensation matérielle.
Des responsables algériens se sont exprimés ces derniers jours sur le dossier de la mémoire. Le porte-parole du gouvernement, Ammar Belhimer, a bien abordé la question de la mémoire dans un entretien accordé au quotidien arabophone public El Massa. Il fait état des résistances en France à la reconnaissance des crimes coloniaux. Des résistances qui émanent du lobby des nostalgiques de l’Algérie française.
Le porte-parole du gouvernement estime que «la fuite en avant» de l’Etat français sur ce dossier ne va pas durer plus longtemps, assurant que les contacts entrepris au plus haut niveau sont toujours en cours.
Avant Belhimer, c’est un officier général du ministère de la Défense nationale qui a abordé un autre volet de cet épineux dossier de la mémoire, à savoir celui des essais nucléaires dans le Grand Sud et leurs méfaits persistants sur la population locale.
«La France doit assumer ses responsabilités historiques, surtout après que 122 Etats de l’Assemblée générale de l’ONU ont ratifié, le 7 juillet 2017, un nouveau traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), qui vient s’ajouter aux traités antérieurs. Le principe du ‘‘pollueur-payeur’’ y a été d’ailleurs introduit et reconnu officiellement», a précisé le général Bouzid Boufrioua, chef de division du génie de combat au CFT dans une interview publiée par la revue El Djeïch.
Cet officier général a relevé des séquelles de ces essais nucléaires français, qui consistent, entre autres, en des déchets immenses très radioactifs et de longue vie et en des radiations répandues sur de vastes surfaces, causant un grand nombre de victimes parmi la population locale.
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Il est donc demandé à la France de faire le nécessaire pour décontaminer ces zones polluées par des particules radioactives. Aussi, l’Algérie, comme souligné par M. Belhimer, réclame la reconnaissance des crimes coloniaux. Il ne s’agit donc pas de «repentance» ni de demande de présentation d’«excuses» pour ce qui a été fait durant la colonisation française.
Ces deux responsables confirment ainsi les principales demandes de l’Algérie dans ce dossier, telles que déjà exprimées par le président Abdelmadjid Tebboune. En effet, dans un entretien exclusif accordé en juillet 2020 au journal français L’Opinion, le président Tebboune a fait état de ce que l’Algérie attendait de la France sur ce dossier. Il ne s’agit pas de reproduire ce qui a été fait ailleurs.
Le chef de l’Etat était précis en refusant que l’histoire algérienne soit jugée «par mimétisme par rapport à ce qui s’est fait ailleurs, notamment quand la Libye a demandé des excuses à l’Italie qui a ensuite payé une dette coloniale». «Les Algériens tiennent beaucoup plus à la reconnaissance par l’Etat français de ses actes qu’à une compensation matérielle. La seule compensation envisageable est celle des essais nucléaires. Les séquelles sont encore vives pour certaines populations, notamment atteintes de malformations. Et certains sites n’ont toujours pas été traités», avait-il ajouté.
Autrement dit, le travail qui se fait actuellement des deux côtés vise ainsi à préparer le terrain pour la réalisation de ces deux objectifs, qui sont la reconnaissance de la France officielle de ses crimes coloniaux en Algérie et le traitement des séquelles de ses essais nucléaires au Sud algérien.
Du côté français, le premier point semble jusqu’à présent occulté. Dans son rapport remis au président français, qui a fait couler beaucoup d’encre aussi bien en France qu’en Algérie, l’historien Benjamin Stora a inscrit les essais nucléaires et les champs de mines aux frontières (lignes Challe et Morice) parmi les «questions brûlantes relevant du passé colonial commun».
Cet historien, qui a livré une esquisse de la vision française du dossier de la mémoire commune, a bien relevé «la contamination des populations sahariennes par ces essais nucléaires» et suggéré dans ce sillage «la poursuite du travail conjoint» sur cette question mais aussi sur celle relative aux champs de mines. Mais dans son rapport, Stora n’a pas fait état de cette nécessaire reconnaissance des crimes coloniaux par l’Etat français.
Un point occulté qui a été remis sur la table par les responsables algériens, qui semblent ainsi adresser un message clair aux dirigeants français en leur rappelant ce qu’ils attendent comme faits et gestes pour aboutir à des relations «apaisées».
Pour arriver à cela, le chemin reste «tortueux», avait reconnu le président Tebboune, selon lequel le président Macron devait lutter contre «le parasitage de lobbies minoritaires mais très dangereux, qui essaient de saper son travail».