Alors que le personnel portuaire est en colère contre la privatisation des ports humides, la fermeture de 16 ports secs aura des répercussions directes sur les prix des produits importés, suscitera une perte sèche de près de 4000 emplois directs et à peu près le double en emplois indirects et une hausse conséquente des surestaries facturées en devise et payées en transfert libre, ainsi qu’une augmentation du délai du dédouanement. En bref, une décision irréfléchie et incompréhensible.
Depuis deux jours, le secteur portuaire vit une situation des plus tendues. Alors que des milliers de travailleurs des ports sont en colère contre la réactivation du projet de privatisation par les autorités, des centaines d’employés des ports secs, privés et publics, se retrouvent au chômage en raison de la fermeture brutale et aux lourdes conséquences de leurs entreprises, le 28 mars dernier, par l’administration douanière.
Institués pour désengorger les ports de marchandises, réduire les déclarations de liquidation de celles-ci, limiter les surestaries et les délais de traitement des dossiers de dédouanement, les ports secs ont beaucoup soulagé les entreprises portuaires, notamment en ce qui concerne le traitement des conteneurs de produits périssables, dangereux et interdits de stockage dans les enceintes dites mouillées ou ports humides.
Seize entreprises sont concernées par la décision de fermeture, dont six sont publiques (EPSA, filiale du port d’Alger, AGS de la SNTA, Entreprises portuaires de Skikda et de Béjaïa) et exercent cette activité pour certaines depuis 2007 et pour d’autres depuis 2009 et 2017.
Le télégramme transmis aux différents services fait état de «l’exécution des décisions des pouvoirs publics», mais ne précise pas la nature de celles-ci.
Au moins de juillet dernier, les autorités, dans le souci de «préserver la devise» en limitant «les opérations de transferts vers l’étranger», avaient décidé de mettre fin aux activités de trois sociétés étrangères (MTA, CMA et Arkas), et d’assainir la situation de l’activité des ports secs en sommant les gestionnaires de s’équiper en scanners et de lever toutes les réserves émises en matière de respect du cahier des charges qui les lient à l’administration douanière.
De ce fait, de lourds investissements ont été opérés par la majorité des sociétés (13 sur 16 d’entre elles) pour se doter de scanner, de stacker container (élévateurs), de surveillance électronique, de parcs à feu, de moyens roulants, etc.
La fermeture brutale des ports secs aura de lourdes conséquences, nous explique un inspecteur liquidateur, qui tente d’être plus explicite en dressant un tableau noir de l’impact sur l’économie.
«Elle aura une répercussion directe sur les prix des produits importés, suscitera une perte sèche de près de 4000 emplois directs et à peu près le double en emplois indirects et engendrera une hausse conséquente des surestaries, parce que les délais de traitement de la marchandise passeront de 90 à 180 jours, facturées en devise et payées en transfert libre.
Elle fera augmenter le délai du dédouanement, qui passera de 5 à 20 jours, et cela profitera à certaines compagnies étrangères, qui transfèrent leurs dividendes au détriment des exploitants algériens des ports secs.
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Ces derniers ne pourront même pas reconvertir leurs activités en raison du matériel spécifique qu’ils ont acquis, tels que les scanners, logiciels, aménagement des plateformes, matériel roulant spécifique. Leurs pertes sèches seront énormes. Il y a visiblement une vision erronée de la part des autorités et une incompréhension du domaine de la logistique maritime et des avantages des ports secs», relève notre interlocuteur.
«Aucun port n’a les moyens de prendre en charge le flux important de marchandises»
Abondant dans le même sens, le secrétaire général de la fédération des travailleurs Ugta des ports, Noureddine Boulassel, qualifie la fermeture brutale des ports secs, notamment publics, de «catastrophique».
Il révèle que «pas moins de 700 travailleurs des ports secs publics se retrouvent au chômage. EPS Skikda a investi 600 millions de dinars pour acquérir deux scanners, d’autres entreprises ont contracté des prêts pour s’équiper et toutes sont sommées de fermer leurs portes. Cette décision est incompréhensible. Elle ne règle aucun problème. Elle aggrave la situation du secteur portuaire».
Le même constat est établi par un cadre de l’administration portuaire, sous couvert de l’anonymat. «L’impact est très lourd. D’abord sur les entreprises portuaires, qui sont sous-équipées et ne disposent, dans le meilleurs des cas, que d’un seul scanner. De fait, elles se retrouvent privées d’une importante logistique de gestion des marchandises et confrontées en même temps au problème de congestion.
Avec cette mesure aussi brutale, aucun port n’a les moyens de faire face à la prise en charge d’un flux aussi important de marchandises qui transitaient par les ports secs. Il s’agit de marchandises souvent dangereuses ou périssables que les ports humides ne peuvent prendre en charge. Le nombre des navires en rade sera multiplié par trois, voire quatre si ce n’est plus», affirme notre interlocuteur.
Pour lui, les services des Douanes vont eux aussi être dépassés par les procédures de contrôle et de liquidation des marchandises, dont les délais de traitement vont exploser. «Cela aura des incidences financières énormes, aussi bien pour les entreprises portuaires que pour les opérateurs économiques», explique un inspecteur des Douanes.
A ce jour, personne ne sait dans quel objectif une telle décision a été prise. «Pour nous, c’est une mise à mort qui mettra des centaines de travailleurs au chômage. Certaines sociétés vont faire face à des problèmes énormes avec les banques, parce qu’elles ont contracté des crédits pour se mettre en conformité avec le cahier des charges. Moi-même, je vais devoir mettre au chômage quelque 150 employés. Pour le plus petit des ports secs, la perte sèche est estimée à un milliard de dinars», déclare le gérant d’un port sec, fermé depuis lundi dernier.
Pourtant, cette fermeture n’est prévue par la loi que dans quatre cas : «A la demande de l’exploitant, en cas de non-renouvellement dans un délais de trois mois avant expiration des délais du contrat de location, en cas d’absence d’activité pendant une période d’une année, en cas de manquement de l’exploitant à ses obligations vis-à-vis des douanes, en cas de faillite ou de décès de l’exploitant.»
Aucune de ces conditions n’est évoquée pour justifier la décision. Aussi bien douaniers, qu’opérateurs économiques, qu’exploitants des ports secs s’interrogent sur les motivations d’une telle mesure et s’accordent à la qualifier d’incompréhensible et «contraire à de la feuille de route économique du Président».
Pour eux, «elle impacte négativement sur le commerce extérieur et va avoir un prix lourd en devises fortes pour notre pays». A-t-on évalué l’impact d’une décision aussi lourde que brutale sur l’économie du pays ? La question reste posée. http://www.elwatan.com