Se posant en protecteur de la région, la Russie compte, lors d’une réunion à Moscou mercredi, signifier aux talibans son inquiétude face à l’essor de groupes terroristes, et évoquer le danger d’une crise humanitaire en Afghanistan.
Cette réunion, la première à Moscou depuis le changement du régime afghan, verra participer une dizaine de pays dont la Chine, le Pakistan et l’Iran, selon la diplomatie russe.
Elle témoigne de l’intégration des talibans dans le jeu diplomatique, après les rencontres au Qatar avec les Occidentaux et en Turquie la semaine dernière.
À Moscou, les talibans seront représentés par le vice-premier ministre Abdul Salam Hanafi, un responsable ayant participé aux négociations sur le retrait militaire américain.
Le porte-parole taliban Zabihullah Mujahid a donc estimé que ces pourparlers renforçaient «la stature» du nouveau gouvernement afghan. Mais pour la diplomatie russe, il sera avant tout question de «la situation politico-militaire en Afghanistan et de la formation d’un gouvernement» rassemblant au-delà du mouvement aux commandes du pays.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a lui présenté la rencontre comme une «tentative de comprendre ce qu’il se passe».
Car depuis leur retour éclair au pouvoir en août, les talibans sont confrontés à la menace de groupes plus radicaux qu’eux, en particulier aux attentats sanglants de «l’Etat islamique – Khorasan» (EI-K), la branche locale de «Daech».
Vladimir Poutine et d’autres responsables russes ont exprimé la semaine dernière leur inquiétude quant à la capacité des talibans de stabiliser le pays et à y empêcher l’ancrage de groupes terroristes aux ambitions transfrontalières.
Le président russe a estimé que certains d’entre eux préparaient déjà «des plans pour étendre leur influence dans les pays d’Asie centrale et des régions russes».
«La période d’euphorie» est passée
Si la Russie a raillé le retrait humiliant d’Afghanistan des États-Unis, son grand rival géopolitique, elle craint de voir ce chaos s’étendre sur son flanc sud en Asie centrale, région stratégique riche en matières premières.
Moscou a d’ailleurs multiplié ces derniers mois les manœuvres militaires à la frontière afghane avec ses alliés régionaux, renforçant aussi sa base au Tadjikistan.
La Chine a elle aussi mené des exercices dans la région.
En outre, les Russes ont sans doute à l’esprit que la situation actuelle n’est pas étrangère à l’invasion soviétique (1979-1989), qui a marqué le début de décennies de guerres en Afghanistan.
L’autre thématique des discussions de Moscou concernera le risque d’«une crise humanitaire», alors que les talibans, sous sanctions internationales, n’ont pas les fonds pour faire tourner les banques et payer les salaires.
Pour Alexandre Sternik, un haut responsable de la diplomatie russe, cité par l’agence Ria Novosti, la situation est telle que «les talibans, faute de moyens financiers, sont en train de perdre leur potentiel antiterroriste, comme en témoignent les attentats».
Lors d’une rencontre avec des diplomates occidentaux au Qatar mi-octobre, le ministre afghan des Affaires étrangères, Amir Khan Muttaqi, avait prévenu que «l’affaiblissement du gouvernement afghan n’est dans l’intérêt de personne», évoquant le risque sécuritaire et celui d’un exode migratoire.
Russes, Turcs, Iraniens, Européens: tous ont à cœur d’éviter une crise de réfugiés.
Poutine considère en outre que les terroristes en profiteraient pour répandre leurs hommes en Asie centrale et en Russie.
Zamir Kaboulov, l’émissaire pour l’Afghanistan du Kremlin, a dans ce contexte relevé que «la période d’euphorie» des nouveaux maîtres de Kaboul était passée.
Les autorités russes parlent aux talibans, mouvement interdit en Russie, depuis des années, mais elles ne comptent pas dans l’immédiat les reconnaître comme le gouvernement légitime de l’Afghanistan.
Depuis août, Moscou s’est montré indulgente, voire laudatrice s’agissant des talibans. Mais elle a aussi martelé que la stabilisation du pays nécessitait d’associer d’autres factions afghanes à l’exercice du pouvoir.
En parallèle, la plupart des pays de l’Asie centrale ex-soviétique ont établi des relations avec les talibans, à l’instar de l’Ouzbékistan avec qui il a été récemment question de commerce et d’aide humanitaire.
AFP