Le 13 octobre 2019, Kaïs Saïed a été élu avec 2,7 millions d’électeurs. Depuis, qu’a fait Kaïs Saïed et où en est-il de ses promesses, qu’a-t-il apporté à la Tunisie, où la mène-t-il ?
Depuis le 25 juillet 2021 et sa décision de geler les travaux de l’Assemblée nationale, le président tunisien Kaïs Saïed bénéficie d’une popularité sans égal. Grâce à lui, les Tunisiens croient s’être débarrassés des islamistes qui ont épuisé le pays à coup de crédits de gestion, de querelles, de népotisme et de violations des lois.
Si une majorité de Tunisiens semble optimiste quant à la gestion de leur avenir par ce président hors-normes, il est bon de s’arrêter sur son bilan des deux ans pour savoir de quoi il est capable.
Avant de décortiquer le président, commençons par l’homme.
Durant sa campagne électorale, Kaïs Saïed l’homme était connu pour être un fumeur invétéré de Mars Légères, féru de cafés capucins, têtu et doté d’un sang-froid sans égal. On se rappelle encore comment il s’est comporté durant une caméra cachée de Moez Ben Gharbia, où l’on a simulé un tremblement de terre. Solidement assis sur sa chaise, Kaïs Saïed n’a pas paniqué et ses traits du visage n’ont pas bougé d’un millimètre. Il était figé, au point d’impressionner les téléspectateurs par cet extraordinaire sang-froid.
Enfin, on ne peut pas oublier que le citoyen Kaïs Saïed est un homme pieux pratiquant qui fait ses prières à la mosquée à l’heure.
Pour ce qui est de la fonction présidentielle, Kaïs Saïed criait sur tous les toits, durant la campagne électorale, qu’il est et qu’il restera toujours aux côtés du peuple et de ses préoccupations. Entendez par là, les pauvres gens. Il est allé jusqu’à promettre qu’il ne quittera jamais son domicile sis au quartier d’El Mnihla si jamais il est élu.
De ces promesses de campagne, dont certaines ont été répétées bien après son élection, on entendra plus d’une fois le candidat puis le président jurer ses grands Dieux qu’il respectera la constitution à la lettre, qu’il ne la violera jamais, qu’il sera juste, bien juste. Quoi d’étonnant pour cet enseignant de droit constitutionnel qui, autre promesse, s’est engagé à ne jamais s’immiscer dans le travail de la magistrature et à respecter religieusement l’indépendance de la justice.
Enfin, parmi ses promesses électorales, celle que tous les politiques font, à savoir : améliorer le train de vie des Tunisiens et leur pouvoir d’achat.
Deux ans après, paroles, paroles, que des paroles
Deux ans après, où en sommes-nous de tout cela ?
Pour ce qui est de l’homme, Kaïs Saïed a troqué ses Mars Légères tunisiennes pour des Marlboro américaines. Aux premiers temps de sa présidence, il a tenu à aller boire son café dans un quartier populaire, accompagné de sa garde rapprochée. Mais il a rapidement oublié cette habitude, préférant ceux servis dans la belle porcelaine griffée du palais de Carthage.
Quant à la mosquée, c’était également les habitudes des premiers temps où l’on voyait régulièrement le président fréquenter la mosquée, notamment le vendredi.
Aujourd’hui, il n’y va plus, même pas la veille de la fête du Mouled, alors que c’est la tradition de tous les présidents d’aller à Kairouan pour célébrer l’anniversaire du prophète.
Pour ce qui est de son sang-froid, le monsieur est devenu impulsif réagissant au quart de tour.
Quand un tabloïd a prétendu qu’il était l’objet d’un projet d’empoisonnement via le pain servi au palais de Carthage, il s’est précipité pour aller acheter le pain lui-même dans une boulangerie de la cité Ennasr.
Quand un journaliste a insinué qu’il est un enfant illégitime, il l’a fait jeter en prison alors que la loi en la matière est claire, « l’insolent » ne mérite pas davantage qu’une amende de deux mille dinars.
Régulièrement, il répond à ses opposants et contradicteurs en usant d’invectives puisées dans un lexique indigne d’un président, ni même d’un intellectuel.
A son prédécesseur Moncef Marzouki qui a fait appel à des puissances étrangères pour le contrer, Kaïs Saïed a réagi instantanément en le privant de son passeport diplomatique.
Du sang-froid qu’on connaissait chez Kaïs Saïed, le candidat, il ne reste plus qu’un vague souvenir.
Ceci pour l’homme. Concernant le président, il est bon de noter pour ce mini-bilan que le président de la République n’a déposé aucun projet de loi, avant le 25 juillet, susceptible d’améliorer la vie des Tunisiens. A l’exception du président de l’Utica, il n’a reçu aucun homme d’affaires ou investisseur pour écouter les doléances des seuls capables de créer de l’emploi et de la croissance.
De même, et à une exception près, il n’a donné aucune interview à des journaux locaux durant les deux ans, évitant ainsi leurs questions embarrassantes et leurs pièges. Il n’y avait même pas de rencontres en off avec eux, alors que c’est l’habitude courante de tous les dirigeants. Pire, il n’y a même plus de chef de cellule de communication depuis l’éviction de la non-regrettée Rachida Ennaïfer. Il s’agit, pourtant, d’un b.a.-ba de la vie démocratique d’un pays que de voir un président échanger avec des journalistes et leur servir la matière première, et quelques confidences, de ce qui se passe à la tête d’un Etat.
Depuis le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed, le président, s’est métamorphosé totalement. On ne le reconnait plus.
La constitution qu’il a juré à maintes reprises de respecter ? Il s’est assis dessus, l’interprétant à sa manière en lui tordant le cou.
L’indépendance de la justice ? Il s’est autoproclamé président du parquet, dès le 25 juillet, avant de se rétracter plus tard.
Il a fait enclencher plusieurs procédures judiciaires contre ses opposants en saisissant la justice militaire, bien plus réactive que celle civile.
Le respect de l’indépendance de la Justice ? Que des paroles, Kaïs Saïed ne cesse de donner des leçons aux magistrats. Ses prétendus proches ne cessent de violer le secret de l’instruction dans des affaires impliquant des personnes suspectées d’être corrompues.
Le Kaïs Saïed d’après le 25-Juillet ne va plus à la mosquée, ne fréquente plus les petites gens et ne boit plus son capucin dans un café populaire.
Son cortège est long d’une bonne cinquantaine de véhicules et il semble devenir inaccessible. Sa photo à Bizerte, dans une base militaire, rappelle celle d’un président nord-coréen, assis sur un trône avec le vide autour de lui.
C’est un fait, et il est indéniable quoique disent ses fans, Kaïs Saïed s’est bien métamorphosé après son entrée au palais de Carthage et spécialement depuis le 25 juillet 2021.
Qu’en est-il du pays ? Avant le 25 juillet, la Tunisie était en crise à cause de la gestion chaotique et calamiteuse des différents gouvernements. Si le 25 juillet était accompagné d’une grande dose d’espoir, celui-ci s’est rapidement évaporé au fil des jours, quand on a constaté qu’il n’y a rien eu de concret après les paroles enchantées du président. Pire, l’agence de notation Moody’s a dégradé la note souveraine du pays, mais cela ne semble pas émouvoir spécialement le président inconscient des conséquences que cela représente.
Alors que le Kaïs Saïed candidat écoutait tout le monde, durant ses tournées légendaires de tout le territoire de la République, le Kaïs Saïed président n’écoute plus personne, même pas les avertissements des cabinets internationaux à qui il oppose, publiquement, son mépris.
La Tunisie d’avant les élections était dans une mauvaise situation qui n’a fait qu’empirer depuis. Elle attend encore sa métamorphose…
Sans contrepouvoir, Kaïs Saïed navigue à vue, seul, sans feuille de route, sans dire où il va et comment il y va oubliant la célèbre phrase du grand philosophe français Alain (1868-1951) : “Tout pouvoir sans contrôle rend fou.”
Raouf Ben Hédi