Lors de la dernière guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan fin 2020, clôturée par la récupération par ce dernier de la majeure partie de la région du Haut-Karabakh et de la plupart des terres que l’Arménie avait saisies en 1994, la position iranienne était claire, au niveau du soutien des droits d’Azerbaïdjan dans ces terres et au niveau du respect de sa souveraineté et sécurité, mais à condition que ce contrôle ne s’étende point vers le territoire arménien. L’Iran a aussi exigé le respect de la sécurité d’Erivan et de ses droits, conformément au droit international.
En outre, tous les responsables iraniens ont appelé à mettre fin au conflit armé et à parvenir à un compromis politique pour rétablir le calme dans le sud du Caucase, tout en respectant la sécurité nationale de tous les pays concernés.
Quelle est la position de l’Azerbaïdjan aujourd’hui dans cette équation de base (protection et sûreté de la sécurité nationale de tous les pays du Caucase du Sud et de l’Asie du Nord-Ouest) ?
Bakou se comporte-t-il aujourd’hui avec l’Iran dans le même esprit ?
Et quel est son rôle dans ce qui se passe aujourd’hui avec l’Iran en termes de menaces délicates auxquelles il est confronté à tous les niveaux économiques, militaires et sécuritaires ?
En premier lieu, il est utile de braquer la lumière sur la zone frontalière entre le sud de l’Arménie et le nord-ouest de l’Iran, qui ne dépasse pas quarante kilomètres de largeur et relie la région de Nakhitchevan de l’Azerbaïdjan séparée de Bakou par des terres de l’Arménie, dans le sud du Haut-Karabakh. Cette superficie contient la région de Norduz, qui constitue le seul passage pour le transport de toutes les marchandises entre l’Iran et l’Arménie. Une zone où se concentrent actuellement les manœuvres turco-azerbaidjanaises d’une part et les manœuvres irano-arméniennes de l’autre part, afin de la contrôler. «Israël» est aussi entré dans le différend, malgré la distance géographique, pour des raisons stratégiques relatives au plan de la prise pour cible de l’Iran. «Israël» tente ainsi d’attiser les tensions, préparant le terrain à la mise en œuvre de ses plans.
De fait, la manœuvre Azerbaïdjan-Turquie vise à s’emparer du passage de Norduz de l’Arménie, d’abord par la politique en l’échangeant avec d’autres terres reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie, ou par la force si la politique échouerait. L’objectif est de conserver la seule région géographique reliant le Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan, et ainsi lier la Turquie et la mer Noire à la mer Caspienne et aux pays d’Asie centrale, tout en privant l’Iran et l’Arménie des avantages que cette région sensible offre sur les plans économiques, politiques, sociaux et stratégiques. Par contre, la manœuvre Arménie-Iran repose sur la nécessité de préserver cette zone (Norduz), d’assurer le passage des marchandises iraniennes vers l’Arménie et vice versa, et d’assurer l’aboutissement du mouvement de transport iranien vers la Géorgie, la mer Noire et l’Arménien à l’Iran puis à la mer Caspienne.
Cet antagonisme entre les deux manœuvres, qui en apparence semble être de nature économico-géographique, est en fait une faille très sensible, que la Turquie et «Israël» regardent d’une manière particulière qui transcende les dimensions économiques et géographiques, pour constituer pratiquement un point d’appui pour la mise en œuvre d’une manœuvre, distincte pour chacune des deux parties, unies sur la menace de l’Iran, sous la forme suivante :
«Israël» veut que cette région soit un foyer de différend entre l’Iran et l’Azerbaïdjan afin d’exacerber les tensions et de créer une sorte d’hostilité, exploitée par «Tel Aviv» et au nom du soutien militaire et de Bakou, afin d’installer une série de bases militaires dispersées à deux pas du nord iranien, où se trouvent les installations nucléaires iraniennes les plus importantes à Natanz, Arak et autres. Des bases militaires dans lesquelles «Israël» serait présent directement ou indirectement, qui soutiennent la confrontation avec l’Iran.
Des bases aériennes qui abritent des bombardiers stratégiques et des drones, des lanceurs et des systèmes de surveillance, et des bases électroniques avancées pour la cyberguerre.
D’autre part, le rôle turc est essentiel dans la position de Bakou : contrôler apparemment la seule bande frontalière entre l’Iran et l’Arménie sous prétexte d’assurer une communication permanente entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan. Mais la sensibilité de ce rôle va pratiquement dans deux directions :
Premièrement : La connexion géographique entre l’Iran, la mer Noire et l’Europe est coupée sauf à travers ses terres, ce qui fera, par la suite perdre à l’Iran le rôle d’acteur principal du futur système économique chinois (la Ceinture et la Route). Ainsi, la Turquie prendra le contrôle de ce rôle après l’avoir confisqué à l’Iran, aux côtés des avantages économiques et stratégiques réalisés.
Deuxièmement : La Turquie y gagne également, sans avoir besoin des terres d’Arménie ou des terres d’Iran, une connexion directe avec la mer Caspienne, ce qui signifie en pratique une communication directe entre elle et les pays d’Asie centrale. Une communication dotée d’une grande importance économique, démographique et politique.
La réaction iranienne fut rapide. L’Iran a pris l’affaire et ses objectifs principaux en main, dès que les autorités de Bakou ont imposé des frais illégaux sur le mouvement des marchandises iraniennes vers l’Arménie.
Téhéran a également lancé des exercices militaires sans précédent, dans le nord-ouest de l’Iran, avec la participation de forces terrestres et aériennes, des unités blindées, de l’artillerie lourde, de drones, d’équipements de guerre électroniques, d’hélicoptères.
Ces exercices ont compris des descentes dans une localité, précédée d’une opération de reconnaissance aérienne. Ils ont été accompagnés d’une campagne diplomatique et médiatique adéquate.
Les messages voulus par cette manœuvre étaient clairs, voire tranchants et décisifs : la sécurité nationale de l’Iran et ses intérêts historiques et stratégiques constituent une ligne rouge. Téhéran ne tolèrera point qu’«Israël» possède des bases en Azerbaïdjan, ou qu’il soit en mesure de la cibler ou de mener toute sorte d’attaques contre son territoire.
Pratiquement, il semble que la manœuvre de l’Iran pour faire face à ces menaces délicates repose sur la stabilisation de la libre circulation de ses camions et de ses marchandises vers l’Arménie et de là vers la Géorgie et la mer Noire, et le maintien de la zone frontalière avec l’Arménie libre et sûre, par le biais d’un mécanisme approprié avec l’Arménie, qui pourrait être un accord, un traité ou autre, même si ce mécanisme inclut une présence militaire iranienne à l’intérieur de l’Arménie. Elle a aussi renforcé sa présence sur toute la frontière avec l’Azerbaïdjan, en accordant une grande importance à l’installation de bases militaires solides dans le nord et le nord-ouest en particulier, et en œuvrant à la saisie et à la fermeture de ces frontières, à les contrôler et à les surveiller, en prenant également de mesures de lutte contre la cyberguerre et la guerre électronique.
Enfin, avec ces mesures pratiques et administratives que l’Iran est censé prendre et réaliser très prochainement, il peut être utile qu’il travaille désormais selon une stratégie basée sur une extrême prudence à l’égard de la Turquie, ne faisant aucune confiance au président turc Recep Tayyip Erdogan.
Charles Abi Nader