Le Maroc vient d’entrer dans le club des pays qui ont adopté officiellement la convention multilatérale sur la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le Dahir portant exécution de la loi 75-19 portant ratification de cette convention a été publié au BO ce jeudi. Une bonne nouvelle, selon un haut responsable de l’OCDE, qui affirme que le Maroc se trouve désormais renforcé face aux pratiques d’évasion fiscale des multinationales.
Les pratiques d’évasion fiscale des multinationales sont connues. A travers des mécanismes dits d’optimisation fiscale, une société internationale basée au Maroc peut profiter des conventions fiscales signées par le pays pour faire fuiter une partie de ses bénéfices vers une juridiction où les taux d’imposition sont moins élevés qu’au Maroc. Ou les loger carrément dans des paradis fiscaux pour échapper à tout impôt.
Une pratique monnaie courante qui prive les Etats de plusieurs milliards de dollars de recettes fiscales tous les ans. L’OCDE estime le manque à gagner causé par ces pratiques entre 100 et 240 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de 4 à 10% des recettes issues de l’impôt sur les sociétés dans le monde.
Le Maroc n’échappe pas à ce phénomène au vu de son ouverture économique et de la présence de plusieurs sociétés internationales sur son territoire qui usent de mécanismes d’optimisation pour payer le moins d’impôts. Mais pour l’instant, nous ne disposons pas d’une évaluation nationale du manque à gagner généré par ces pratiques d’évasion des sociétés multinationales.
Pour mettre fin à ces pratiques au niveau mondial, l’OCDE avait entamé dès 2013 une réflexion autour d’un nouveau cadre inclusif sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, dit BEPS. Un instrument qui a été adopté en 2016 par plus de 100 juridictions. La signature de cette convention multilatérale a eu lieu à Paris en juin 2017.
L’objectif de cette démarche, selon l’OCDE, étant de « se protéger contre les stratégies d’évasion fiscale, notamment des multinationales, qui utilisent de manière inappropriée les conventions fiscales pour transférer artificiellement les profits des entreprises dans des juridictions où ils seront peu ou pas imposés ».
Le Maroc se dote d’un bouclier contre les pratiques des multinationales
Le Maroc s’est joint à cette initiative internationale en juin 2019 par la signature de la convention multilatérale de l’OCDE et par l’adoption de ladite convention en Conseil des ministres le 19 décembre 2019.
Le Dahir portant exécution de loi 75-19 portant ratification de cette convention a été adopté le 31 décembre 2020. En le publiant, ce jeudi, au B.O du 18 janvier janvier 2021, le Maroc entre désormais officiellement dans le club des pays qui s’inscrivent dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’échelle mondiale. Et se dote surtout d’un puissant arsenal juridique pour éviter l’érosion de sa base fiscale.
« C’est une bonne nouvelle pour le Maroc », nous dit Pascal Saint-Amans, Directeur du Centre de politique et d’administration fiscale de l’OCDE. « La publication de cette loi au bulletin officiel veut dire que le Maroc rejoint de manière officielle le cadre inclusif BEPS, pour éviter que des profits réalisés sur son territoire ne soient transférés à des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt », nous explique-t-il.
Cela tombe également à point nommé avec la volonté affichée des autorités fiscales du pays de faire de l’année 2021 une année de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. Et cette convention aidera comme nous le confirme M. Saint-Amans à la réalisation de cet objectif : « Ce mécanisme renforce la capacité du Maroc à faire face aux multinationales et aux différentes stratégies qu’elles utilisent pour échapper à l’impôt. Le Maroc est désormais protégé contre l’ensemble des pratiques de fuite fiscale et fait désormais partie de la centaine de pays qui ont adhéré à ce cadre ».
La sortie de la liste grise de l’UE désormais acquise
Avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, le Maroc fait également d’une seule pierre deux coups : il agit contre l’érosion de sa base fiscale surtout en ce contexte de crise et de baisse des recettes fiscales. Et prépare le terrain pour sortir de manière définitive de la liste grise sur les paradis fiscaux de l’Union européenne, l’adhésion à cette convention étant une des conditions posées au Maroc pour arriver à cette fin.
Une sortie qui sera entérinée en février lors de la prochaine réunion du Conseil de l’Union européenne, surtout après la réévaluation en octobre dernier par l’OCDE du régime de Casablanca Finance City, considéré désormais comme non dommageable.
Dernier point à noter : l’entrée en vigueur de cette convention sur l’érosion fiscale n’implique pas pour le Maroc une revue des conventions fiscales bilatérales signées jusque-là avec des pays tiers. Un travail qui serait fastidieux. Cette convention, comme nous l’explique notre source à l’OCDE, évitera aux pays de devoir engager des négociations pour mettre à jour leurs accords bilatéraux selon les nouvelles règles instituées dans le nouveau cadre inclusif. Puisque la nouvelle convention se substitue systématiquement aux conventions bilatérales signées par les pays qui y adhèrent. En revanche, le Maroc sera désormais obligé de prendre en compte les nouvelles règles du jeu pour toute future négociation d’une convention fiscale bilatérale.
Au final, à travers l’entrée en vigueur de cette convention, le Maroc franchit la moitié du chemin dans la lutte coordonnée contre l’évasion fiscale internationale. L’autre moitié étant le démarrage effectif de l’échange de données en matière fiscale pour débusquer tout résident qui échappe à l’impôt en transférant ses avoirs à l’étranger, après la fin des amnisties fiscales et de change de 2020.