A lors que d’aucuns s’attendent à une baisse de la mobilisation à l’occasion du 113e vendredi du hirak qui intervient en plein mois de Ramadan et dans des conditions atmosphériques froides et pluvieuses, les pronostics n’étaient pas justes. Endurants, les manifestants ont défié à la fois le mauvais temps et les effets du jeûne pour déferler sur les rues d’Alger et celles de plusieurs grandes villes du pays avec toujours un seul mot d’ordre : «Edifier un Etat de droit».
En effet, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont battu le pavé hier dans la capitale, démontrant encore une fois que le hirak est loin d’être fini. «Wallah mana habsine !» (Nous avons fait le serment, nous n’arrêterons pas notre mouvement), scandent les manifestants venus des quatre coins d’Alger, qui connaît, comme chaque vendredi, au moins trois marches venant des différents quartiers populaires.
La première prend forme au niveau de la place du 1er Mai pour s’engouffrer dans la rue Hassiba Ben Bouali en direction d’Alger-Centre, où les manifestants font la jonction avec une deuxième procession qui vient, elle, de la rue Didouche Mourad en direction de la Grande-Poste en passant par la place Maurice Audin. Mais c’est la troisième marche qui draine, comme c’est le cas depuis des mois, une véritable déferlante humaine. Celle-ci démarre du quartier populaire de Bab El Oued et charrie sur son passage des centaines de manifestants qui attendent son arrivée à la place des Martyrs, de la place Port-Saïd et du boulevard Zighout Youcef. Cette dernière devient l’attraction du hirak.
L’écrasante majorité des manifestants d’Alger font le déplacement jusqu’au boulevard Zighout Youcef pour attendre cette vague des hirakistes qui arrive vers 14h30 en faisant vibrer le centre d’Alger. Plurielles, cette manifestation, de l’avis de tous les observateurs, «représente la vraie Algérie», dans la mesure où elle regroupe toutes les sensibilités existantes dans le pays, ou presque. Et tout le monde manifeste, sans heurts ni tension.
Munis, comme à l’accoutumé, d’emblèmes, de pancartes et de banderoles, les marcheurs, dont des femmes, des vieux et des jeunes, n’ont pas oublié, à cette occasion, les détenus du hirak. «Libérez nos enfants pour qu’ils jeûnent avec nous», lancent les protestataires, en s’en prenant comme d’habitude aux généraux responsables, selon eux, de la situation du pays. Arrivés à hauteur de l’hôtel Essafir (ex-Alleti), les manifestants ont brandi des portraits de tous les détenus du hirak, dont Mohamed Tadjadit, Lounes Hamzi, Soheib Debaghi, Malik Riahi, Tarek Debaghi et Khimoud Nourredine. Ils exigent ainsi leur libération. «Tadjadit a été accusé de constitution d’une association de malfaiteurs, parce qu’il s’en prend aux vrais malfaiteurs», lit-on sur une pancarte brandie par des jeunes.
Dans une lettre envoyée à partir de sa cellule, rappelons-le, Mohamed Tadjadit avait dénoncé la campagne de dénigrement en affirmant que «les policiers qui l’ont arrêté, n’ont trouvé sur lui que 10 DA et son téléphone portable». Outre la libération des détenus, les protestataires ont repris en chœur les slogans habituels du hirak.
Un enseignant arrêté à cause d’une pancarte
La marche d’hier a été marquée par une vive tension au niveau de la rue Didouche Mourad, suite à l’interpellation de deux personnes, dont un enseignant universitaire. Elles ont été arrêtées par des policiers en civil à cause d’une pancarte et ont été conduites au commissariat du 6e. Alertés, les manifestants, dont l’avocat Mustapha Bouchachi, ont refusé de quitter les lieux avant leur libération. «Hada oustad, machi irhab !» (C’est un enseignant, pas un terroriste), criaient les hirakistes, qui ont attendu longtemps devant le commissariat de police. Mais en vain. Au moment où nous mettons sous presse, les deux personnes n’ont pas été libérées.