Le torrent d’articles et de couvertures accompagnant les célébrations saoudiennes du sixième anniversaire de la nomination du prince héritier offre aux observateurs et aux personnes intéressées l’occasion de se familiariser avec la “nouvelle mentalité politique” de l’homme le plus puissant du royaume, le prince Mohammed bin Salman, non seulement en raison du flux ininterrompu de commentaires, mais aussi parce qu’ils proviennent tous de la même source et suivent le même texte.
L’abondance d’articles produits ne peut cacher le fait qu’ils sont pratiquement identiques les uns aux autres. Il y a deux aspects à cette question. L’aspect négatif est l’étroitesse des limites de la liberté d’opinion et de pensée. Mais l’aspect positif est que nous savons maintenant que les récits présentés et les priorités et approches qu’ils contiennent reflètent les vues et perspectives du chef d’État actuel, et pas seulement de leurs auteurs.
Nous laisserons de côté les expressions de flatterie, de glorification et d’exaltation qui sont courantes lors de telles occasions cérémonielles, pour fournir une évaluation rapide de ce que nous considérons comme les clés de compréhension de la nouvelle politique saoudienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous nous concentrerons sur les points qui sont répétés dans la plupart des articles, sinon tous, et qui couvrent l’occasion, en utilisant parfois des formulations presque identiques. Que peut-on tirer de ce bilan ?
“Le grand Royaume d’Arabie saoudite” et “l’indépendance totale de décision” sont deux des expressions les plus utilisées dans le discours saoudien pour décrire la politique étrangère du royaume. En ce qui concerne la politique locale, l’accent est mis sur la “révolution interne”, la “construction de l’identité nationale”, la “lutte contre la corruption”, la “diversification de l’économie et des ressources”, le “dépassement de la dépendance au pétrole” et le “développement vert”.
L’expression “Grande Arabie saoudite” reflète la manière dont le prince héritier envisage le statut et le rôle du royaume au cours de la prochaine décennie. Il explique les informations et les rapports que nous avons reçus sur la vision du royaume, qui ne se considère pas comme une puissance régionale influente aux côtés d’autres puissances concurrentes et alliées dans la région, mais comme une puissance internationale qui a son mot à dire sur le destin de l’économie mondiale et du marché de l’énergie, et comme une force avec laquelle il faut compter dans les équilibres délicats du nouvel ordre mondial ou de l’ordre mondial émergent.
La prise de conscience de cette nouvelle approche saoudienne nous permet d’expliquer une autre approche adoptée par le Royaume dans sa quête renouvelée de leadership dans le monde arabe. Riyad fonctionne sur ce principe dans tout ce qu’il dit et fait. L’Égypte, avec ses crises internes successives et le déclin remarquable de son rôle régional, n’est pas en mesure de lui faire concurrence, pas plus que la Syrie et l’Irak ne sont capables de jouer leurs rôles traditionnels et historiques après des années d’effusion de sang et de guerres à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Au sein du CCG, des efforts acharnés sont déployés pour contenir le Qatar et les Émirats arabes unis après des années passées à échapper à l’emprise de l’hégémonie saoudienne, ce qui montre qu’il y avait trois conducteurs travaillant sur le train du Golfe alors qu’il n’y avait qu’un seul conducteur saoudien lorsque le train a quitté le pays. Il y a plus de quarante ans.
Cela explique, entre autres, comment Riyad est passé de l’opposition et de la résistance aux efforts de retour des Arabes en Syrie et de retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe à la direction de la mission et à la recherche de l’élimination des obstacles qui empêchent sa réalisation.
Cela explique la présence de l’Irak à la récente réunion consultative de Jeddah et l’absence du Maroc, qui s’oppose au retour de la Syrie pour plusieurs raisons, dont certaines sont liées à l’apaisement avec Washington et d’autres au désir de punir la Syrie pour sa position à son égard. Le Front Polisario et ses relations étroites avec son ennemi juré, l’Algérie.
Le fait que Riyad établisse soudainement des relations avec le Hamas et rouvre prudemment le dossier de la réconciliation palestinienne montre qu’il ne reconnaît pas la prétention exclusive d’un autre parti ou d’une autre capitale à gérer le dossier palestinien et estime qu’il est le mieux qualifié pour traiter avec tout le monde aux niveaux les plus élevés. Alors qu’elle se trouve au seuil de cette entreprise, nos sources nous disent qu’elle se prépare également, en coordination avec l’Union européenne, à relancer l’initiative de paix de Beyrouth, très probablement dans le cadre d’une campagne saoudienne s’opposant à la voie de la normalisation des “Accords d’Abraham”.
Il semble que Riyad ait pris conscience qu’aucun parti ne peut diriger le monde arabe sans accorder une attention particulière à la cause palestinienne, sous tous ses aspects. Retient-elle son long désengagement dans ce dossier ?
Le Yémen est un autre domaine dans lequel le royaume veut manifestement être perçu comme son “grand frère”. Malgré ses efforts inlassables pour clore ce dossier et se sortir du bourbier de huit années de guerre difficile, il insiste pour signer l’accord avec Ansar Allah en tant que médiateur du conflit et non en tant que partie principale. Anna a refusé cela, et elle a raison, tout en sachant que la position du négociateur saoudien est une tentative de sauver la face, découlant du désir de Riyad de “s’élever” au-dessus des différences entre les “frères ennemis”, conformément à sa nouvelle vision d’elle-même, de son rôle et de sa position de leader dans le monde arabe.
A mon avis, cette vision continuera à contrôler l’action du Royaume dans un certain nombre de pays de la région qui sont en crise ouverte. On l’a vu en Irak avec les efforts d’ouverture aux différentes parties, au Soudan avec la précipitation du ministre saoudien des affaires étrangères à convoquer les généraux belligérants. Il n’est pas improbable que ces efforts s’étendent au Liban, comme ils l’ont fait en Palestine, ce qui nous amène à une vision saoudienne différente pour gérer la crise présidentielle, le dossier gouvernemental, le vide du pouvoir et les difficultés économiques et financières.
La deuxième clé pour comprendre les changements dans la politique saoudienne, en particulier la politique étrangère, réside dans l’expression “indépendance totale de décision”, qui a été mentionnée mot pour mot dans de nombreux articles. L’exemple le plus marquant cité par la presse et les écrivains saoudiens est la “décision audacieuse et historique”, médiatisée par les Chinois cette fois, de s’ouvrir à l’Iran, malgré les pressions et les menaces explicites et implicites des commentateurs saoudiens.Ce rapprochement entre Téhéran et Riyad a conduit à l’émergence de nouvelles approches à l’égard du Yémen, de la Syrie et peut-être aussi de la Palestine. Il s’agit d’une évolution très remarquable qui montre que la décision du prince héritier de tourner la page avec l’Iran n’a pas été prise pour contrarier Washington ou comme monnaie d’échange, ni comme une tactique pour passer le temps jusqu’à ce qu’une nouvelle administration américaine prenne le pouvoir, comme cela avait été envisagé. Dans certains cercles politiques et médiatiques. Il s’agit plutôt du reflet d’une orientation radicalement nouvelle de la politique étrangère saoudienne.
En effet, les observateurs de la politique saoudienne au cours des deux dernières années ont constamment noté un degré d’indépendance sans précédent par rapport aux États-Unis dans la prise de décision. Cela s’est manifesté par l’adhésion de Riyad aux décisions de l’OPEP + malgré la colère des États-Unis et par sa position neutre sur la crise ukrainienne malgré les pressions américaines/européennes, sans parler de l’accélération de la participation saoudienne avec la Chine dans des domaines qui vont au-delà de la finance, des affaires et de l’énergie et qui s’étendent à la politique. Diplomatie, sécurité et défense.
En définitive, le royaume est en train de changer d’approche à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Il cherche à établir de nouvelles règles pour traiter avec ses partenaires, ses alliés et ses ennemis.
Toutefois, il est peut-être trop tôt pour savoir jusqu’où l’Arabie saoudite ira dans ses changements difficiles, dans quelle mesure elle sera capable de résister et de faire face aux réactions violentes à ses nouvelles politiques, et si les pays arabes de son environnement proche et lointain accepteront qu’elle prenne le relais dans un avenir prévisible.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement l’opinion du site Arab Maghreb News, mais plutôt l’opinion de son auteur exclusivement.