Des rumeurs circulent sur un coup d’État fomenté par certains éléments talibans.
Sur la voie de l’abîme
Depuis le milieu des années 1970, l’Afghanistan se fraye inexorablement un chemin vers l’abîme.
Le 17 juillet 1974, avec l’aide d’officiers de gauche (membres de la faction Pacham du PDPA – Parti démocratique populaire d’Afghanistan), l’ancien premier ministre (1953-1963) et cousin du roi Muhammad Zahir, le prince Muhammad Daoud (populairement connu sous le nom de “prince fou”) abolit la monarchie et proclame la république. Depuis lors, le désastre a suivi son cours. Quatre ans plus tard, le 27 avril 1978, le prince fou est renversé par un coup d’État sanglant mené par des officiers de la faction Khalq du PDPA, et lui et sa famille sont tués lors des combats au Palais de la République. Depuis cette belle journée de printemps, la série de bains de sang n’a pas été interrompue jusqu’à ce jour… A priori, rien ne changera dans un avenir proche.
Ainsi… le PDPA a déclaré une “République démocratique”. Ce parti était composé de deux factions opposées : la faction Khalq (du nom de son appareil de presse ” Khalq ; signifiant le peuple “) et la faction Parcham (du nom de son appareil de presse ” Parcham ; signifiant le drapeau ou la bannière “), qui se sont réunies peu avant le coup d’État. Mais cette unification n’a pas duré longtemps. Quelques mois plus tard, les deux factions hostiles ont commencé à s’entre-déchirer. Dans la lutte interne pour le pouvoir, la faction Parcham a perdu. Ses dirigeants et nombre de ses membres partent en exil, dans la clandestinité, en prison ou dans des fosses communes. En décembre 1979, l’Union soviétique intervient militairement à la suite de cette agitation : la direction de Khalq est renversée et la faction Parcham, désormais réunie avec le reste de la faction Khalq, prend le pouvoir.
La chronologie des événements qui ont suivi peut être résumée grossièrement : la guerre contre les Soviétiques et le PDPA (1978-1992), la chute du PDPA et de son gouvernement, la montée au pouvoir des moudjahidines, le début de la guerre civile (1992-1996), le premier régime taliban (1996-2001), et l’invasion américaine/OTAN (2001) – jusqu’à sa fin infâme…
Pendant vingt ans d’occupation américaine, le pays était au bord de l’abîme, qui a reçu sa poussée mortelle avec le retour des talibans… et depuis lors, il glisse chaque jour plus profondément dans l’abîme.
Au royaume des Talibans
Depuis que les Talibans ont banni les femmes de tous les domaines de l’éducation et de l’emploi, un tollé s’est fait entendre dans le monde entier. Tout le monde condamne cette action dans les termes les plus forts. Il semblerait que même les talibans soient divisés sur la question. Des rumeurs circulent sur un coup d’État fomenté par certains éléments talibans.Selon eux, deux personnalités influentes du mouvement taliban – le mollah Yaqub, “ministre de la défense” et fils du fondateur des talibans, le mollah Omar, et Sirajuddin Haqqani, du réseau Haqqani et ministre de l’intérieur des talibans, qui étaient jusqu’à présent en concurrence les uns avec les autres. D’autres – soudain, ils ont uni leurs forces et se sont rendus à Kandahar pour parler directement au chef des talibans, le mollah Haibatullah Akhundzada, afin de lui faire part de leur “préoccupation” concernant les interdictions qu’il a récemment prononcées à leur encontre et de le persuader de les annuler. Mais le mollah Akhundzadeh a apparemment refusé de leur rendre visite… On a ensuite dit qu’il était à l’étranger pour visiter la ville de Ghazni. Cependant, selon des témoins oculaires, il n’y avait aucune indication de cette visite à Ghazni.
À Kaboul, on parle de combats acharnés entre les hauts responsables du gouvernement taliban. Il doit y avoir quelque chose dans ces rumeurs… car tant à Kaboul qu’à Kandahar, des soldats et des chars talibans se rassemblaient à des points stratégiques de ces deux villes et prenaient position. (Kandahar se trouve être la résidence d’Akhundzadeh et de ses forces loyales).
Et les talibans ont annoncé que le Conseil des ministres, lors de sa 28e réunion, a voté à l’unanimité pour mettre en œuvre l’interdiction immédiatement et d’une manière satisfaisante pour le ministère de l’Éducation.
Ces deux ministres importants, le mollah Yaqub et Sirajuddin Haqqani, étaient-ils présents à cette réunion ? Dans l’affirmative, y ont-ils élevé la voix et exprimé leur “préoccupation”, ou ont-ils été retenus ? L’interdiction est contrôlée et appliquée par le personnel des ministères de l’Intérieur et de la Défense. Ces deux ministères sont dirigés par Sirajuddin Haqqani et le mollah Yaqub.
À quel jeu les talibans jouent-ils ici ?
Ils cherchent à gagner du temps. De toute façon, le monde – et surtout la partie qui se fait appeler “communauté internationale” – est préoccupé par des questions bien plus importantes : le conflit en Ukraine est délibérément escaladé par l’Occident en une guerre entre l’OTAN et la Russie/Chine, et donc en une guerre nucléaire imminente d’anéantissement global… Les États-Unis menacés de perdre leur hégémonie, leur unipolarité et le règne du dollar.L’Union européenne, en particulier l’Allemagne, a commencé à se désindustrialiser (le plan Morgenthau). Les oligarques, le capital financier monopolistique et la technocratie numérique (“mondialisation”) sont impatients de mettre en œuvre leur version de la “quatrième révolution industrielle” (la grande réinitialisation) et, avec elle, la “déshumanisation de la société” et le sauvetage du capitalisme sous une nouvelle forme (un mélange de féodalisme et d’esclavage moderne) qui nécessite un contrôle total de la population à l’échelle mondiale (fascisme ou au moins formes de gouvernement totalitaires). Les politiciens, les médias et autres appareils de propagande sont en attente.
Dans une telle situation, les talibans ne doivent pas trop s’inquiéter. L’interdiction de l’éducation et de l’emploi des femmes est une tactique visant à obtenir une reconnaissance en levant l’interdiction et en ouvrant des établissements d’enseignement. De même, parler de modérés (“les bons talibans”) et d’extrémistes (“les mauvais talibans”) est une tactique de diversion comme le stratagème “bon flic/mauvais flic” – rendu célèbre dans les films hollywoodiens. En effet, les talibans constituent un groupe hétérogène aux origines diverses. Ce qui les unit, c’est leur loyauté absolue envers leurs dirigeants, qui sont eux-mêmes radicaux et extrémistes. Les membres de cette direction, dirigée par l’invisible mollah Hibutullah, sont des produits de l’idéologie des Frères musulmans associée aux madrassas déobandies du Pakistan et à la culture et aux structures tribales sclérosées de la société pachtoune afghane.
L’idéologie double des Talibans
Les talibans tirent leur légitimité et leur autosatisfaction de deux sources : La charia et les femmes afghanes (= “Afghani” ou “Pashtun” aka Pashtunwali). En ce qui concerne la charia, ils embrassent une pensée religieuse extrême. En ce qui concerne l'”Afghanistan”, ils embrassent l’idéologie d’extrême droite de la suprématie.
En d’autres termes, les Talibans ont combiné deux idéologies : l’idéologie islamique radicale, qu’ils partagent avec d’autres groupes religieux tels qu’Al-Qaïda, les Frères musulmans, ISIS, etc… et l’idéologie fasciste des nationalistes, ou pour être plus précis. Exact : le sentiment de supériorité raciale et de tyrannie des Pachtounes. Ainsi, l’idée de mettre les femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et la population non pachtoune sur un pied d’égalité avec les Pachtounes va à l’encontre de leurs deux idéologies.
En outre, ils possèdent l'”entêtement pachtoune” classique et la ferme conviction qu’ils sont les seuls propriétaires et protecteurs de l’Afghanistan … en plus d’une conviction religieuse inébranlable (“Foi”) gravée dans leur cerveau avec leur message islamique. Ils se considèrent comme les “meilleurs musulmans” par rapport aux autres musulmans du monde actuel et comme des personnes au-dessus du reste de la population en Afghanistan. Leur montée soudaine au pouvoir, qu’ils considèrent comme leur victoire sur 40 nations puissantes, a accru leur arrogance (religieuse et nationaliste) à un niveau insupportable. On en trouve un exemple dans les propos du mollah Haibatullah Akhunzadeh.
Le 1er juillet 2022, lors d’un rassemblement religieux à Kaboul, le mollah Haibatullah Akhunzadeh a accusé la communauté internationale d’interférer avec son gouvernement “islamique” et a prévenu que les pays non musulmans s’opposeront toujours à l’établissement d’un État purement islamique. Il a pratiquement exclu un gouvernement inclusif. Dans un rejet apparent des appels internationaux à assouplir les restrictions imposées aux femmes en Afghanistan, il a déclaré : “Je ne suis pas ici pour répondre aux désirs [des étrangers], et ils ne m’acceptent pas. Je ne peux pas concéder la charia pour travailler avec vous ou même faire un pas en avant”… Il a ajouté : “Vous avez utilisé la mère de toutes les bombes, et vous êtes les bienvenus pour utiliser la bombe atomique contre nous, car rien ne peut nous intimider pour que nous prenions une mesure contraire à l’islam ou à la charia.”
Les opinions exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement l’opinion du site Arab Maghreb News, mais plutôt l’opinion de son auteur exclusivement.