Le ministre aurait pu se référer à la Constitution, dans laquelle l’arabe tout comme tamazight sont langues nationales et officielles. Cela aurait eu certainement un autre impact.
Le ministre du Commerce, Kamel Rezig, a indiqué, , au Conseil de la nation, que son département se penche actuellement «sur l’amendement des lois» afin de «permettre aux agents du ministère du Commerce de délivrer des PV concernant les infractions relatives à l’utilisation d’une langue autre que l’arabe sur les enseignes des locaux commerciaux».
La déclaration du ministre a provoqué une polémique, dans la mesure où le secteur, comme l’ont exprimé plusieurs citoyens, fait face, depuis des mois déjà, à d’énormes problèmes liés à des tensions sur des produits, comme c’est le cas ces derniers jours avec l’huile de table, ce qui devrait être normalement la priorité pour ce département.
Or, le premier responsable du secteur s’attarde sur l’utilisation d’une langue, autre que la langue arabe, sur les enseignes des commerces. Bien entendu, la chose doit être réglementée, comme c’est le cas pour tous les aspects liés à l’activité commerciale.
Néanmoins, le fait d’évoquer cette question dans le contexte actuel marqué, entre autres, depuis près de deux ans, par des déclarations relatives à l’identité et à la langue aussi clivantes que maladroitement posées, pousse les uns et les autres à se poser des questions.
Le ministre aurait pu se référer à la Constitution, dans laquelle l’arabe tout comme tamazight sont langues nationales et officielles. Cela aurait eu certainement un autre impact. Mais ce ne fut pas le cas.
Il faut dire que la question de la langue a, de tout temps, était un enjeu idéologique, même si, faut-il le préciser, il serait normal et même nécessaire que l’Etat fasse la promotion des langues nationales.
Au début des années 1990, le 16 janvier 1991 plus précisément, l’ancien président Chadli Bendjedid avait signé la loi 91-05 portant « généralisation de l’utilisation de la langue arabe», interdisant à cet effet l’utilisation d’une autre langue, le français en l’occurrence. Une loi qui fixe même des délais.
Elle devait être effective à partir du 5 juillet 1992 au plus tard. Ce qui n’était finalement guère possible puisque à la veille de cette date, le président du Haut Comité d’Etat (HCE), Ali Kafi, signe un décret dans lequel le délai « est prorogé jusqu’à réunion des conditions nécessaires ».
Quelques années plus tard, soit le 21 décembre 1996, sous Liamine Zéroual, cette loi est réactivée. Ceci, un peu plus d’une année après ce qui était appelé «la grève du cartable » (année scolaire 1994/95) qui a eu lieu en Kabylie pour revendiquer l’institutionnalisation de tamazight.
Ce qui avait provoqué une polémique à l’époque, certains berbéristes ayant estimé que la loi de la généralisation de la langue arabe ayant été réactivée en réaction à cette demande. Bien entendu, il y a eu la consécration de tamazight en tant que langue nationale en 2002 et son passage au statut de langue officielle en 2016.
Les choses se sont tassées par la suite, jusqu’au lendemain du déclenchement du hirak, avec, entre autres, l’affaire de l’étendard amazigh, son port ayant été « criminalisé » à un certain moment, ainsi que les différentes insinuations lancées par des politiques relatives à l’identité et aux langues, des ministres se lançant même le pari de « remplacer» le français par l’anglais, sans aucune préparation ni étude préalable. Une situation qui avait provoqué des crispations qui reviennent épisodiquement depuis.
C’est dans ce contexte que la déclaration du ministre du Commerce est intervenue. En d’autres termes, ce n’est pas tant le fait d’imposer la langue arabe sur les enseignes des commerces qui pose problème, mais les non-dits qui sont derrière, surtout lorsque la déclaration en question émane d’une personne qui s’identifie à un courant bien précis, connu pour ses positions clivâtes par rapport à la question identitaire.
Cette dernière, étant une affaire trop sérieuse, qui peut déchaîner les passions, ne peut être traitée avec autant de légèreté.