«8 Mars journée de lutte, pas de fête », martelait une pancarte brandie au cours d’une manifestation féministe, hier, à Alger. Les militantes qui ont battu le pavé ont appelé une nouvelle fois à l’abrogation du Code de la famille et ont dénoncé la vague de féminoïdes qui se sont multipliés dans notre société.
La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes a été marquée, hier, par deux manifestations qui ont enflammé la capitale. L’une d’elles exprimait des revendications remarquablement ciblées, centrées sur la défense des droits des femmes, la dénonciation du Code de la famille, du patriarcat, des violences faites aux femmes et la revendication de lois civiles égalitaires.
L’autre manif, quant à elle, et bien qu’affichant une forte présence féminine, résonnait plutôt comme une réplique du hirak du vendredi dans un format plus réduit, avec à la clé, le répertoire des chants et des slogans habituels du hirak. On voyait d’emblée que les deux cortèges n’étaient pas tout à fait sur la même longueur d’onde, mais ils ont permis de donner vigoureusement de la voix un jour de semaine, et de faire de ce 8 Mars une journée de lutte citoyenne d’une formidable intensité.
La manifestation féministe, organisée à l’appel de plusieurs associations et collectifs de femmes, était annoncée pour 14h. Mais vers 13h30, c’est un autre cortège qui s’ébranle de la place Audin en direction de la Grande-Poste. Le cortège gagne très vite en nombre. Fort de plusieurs centaines de manifestantes et de manifestants, il bat le pavé avec énergie, passe près de la Fac centrale, puis enchaîne sur la rue Abdelkrim Khettabi. Aux abords de la Grande Poste, il bute contre un cordon des forces antiémeute qui empêche un carré de protestataires de descendre la rue Khemisti en direction d’Asselah Hocine. Les manifestants sont contraints de remonter la rue en sens inverse avant d’emprunter l’avenue Pasteur.
La foule scande : «Djazair horra dimocratia !» (Algérie libre et démocratique), «Dawla madania, machi askaria !» (Pour un Etat civil, non militaire), «Lebled bledna we endirou raïna !» (Ce pays est le nôtre et nous ferons ce qui nous plaît), «Ma djinache nehtaflou, djina bah tarahlou !» (On n’est pas venus faire la fête, on est venues pour vous chasser). Dans le lot, on pouvait entendre à plusieurs reprises le fameux slogan qui a suscité une vive polémique ces derniers jours : «Moukhabaret irhabia, tasqot el mafia el askaria» (Services de renseignement terroristes, à bas la mafia militaire). Parmi les pancartes brandies, il y en avait une qui résumait parfaitement le sentiment général : «Rien à fêter, rien n’a changé».
Sur les autres cartons, on pouvait lire : «Abrogation du code de la famille. Pour des lois civiles» ; «Sawt el mar’a thawra» (La voix de la femme est une révolution). Une dame a une pensée pour les détenus d’opinion : «Libérez nos enfants, nos frères, tous les emprisonnés politiques, les mamans.» Une demoiselle clame : «Nous sommes les filles de Hassiba, on ne fera pas de marche arrière.» Sur un autre écriteau, ces mots : «Fières, courageuses, déterminées, nous sommes la révolution.». Une jeune activiste écrit de son côté : «Egaux en droits et égaux dans la lutte.»
«Où est la police quand les femmes se font tuer ?»
14h05. Nous quittons ce premier cortège pour rejoindre l’autre manif. Celle-ci prenait son départ également de la place Audin et se dirigeait vers la Grande Poste. En tête de cortège, l’admirable moudjahida Louisette Ighilahriz. Tout un symbole ! Les militantes scandent : «Qanoun el ousra à la poubelle !» (Code de la famille à la poubelle), «Moussawate, moussawate bin el khawa wel khawate» (Egalité entre frères et sœurs), «Qanoun el ousra, wel ounf wel hogra, yetnahaw ga3!» (Le code de la famille, la violence, l’injustice, qu’ils dégagent tous), «Nisswiya, nisswiya, matalibna charîya» (Féminines, nos revendications sont légitimes)… Sur une large banderole rouge, ce message percutant : «Tu n’acceptes pas la hogra du régime, alors n’accepte pas la hogra contre les femmes».
Sur une pancarte, cet autre message cinglant : «Où est la police quand les femmes se font tuer ?». Une jeune militante proclame : «Ma place est partout où je décide qu’elle soit !» Sur un autre panneau, ces mots d’ordre : «Non à la violence juridique, non à la violence sociale». On pouvait lire également : «8 Mars journée de lutte, pas de fête», «Non à la violence, non à la hogra contre les femmes», «Les femmes se sont soulevées pour l’égalité»… A hauteur de la Fac centrale, les deux cortèges se rejoignent. Les carrés sont mélangés. La marche se poursuit jusqu’au périmètre de la Grande Poste. Des frictions éclataient par moments. Mais le message est passé.
Amina Chaher, 29 ans, doctorante en Lettres et militante féministe, arbore une pancarte où elle martèle : «Pas de démocratie sans les droits des femmes». Elle ajoute : «Non aux violences faites aux femmes.»
Amina souligne : «Cette journée du 8 Mars a été pour nous l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.» Et d’alerter sur l’ampleur des féminicides qui se sont multipliés dans notre société. «Depuis le début de l’année, nous avons enregistré 7 féminicides en Algérie et au moins une quarantaine l’année dernière», dénonce-t-elle. La jeune universitaire poursuit : «Le code de la famille est un code répressif qui ne protège en rien les femmes algériennes. Nous exigeons des pseudos autorités en place la suppression totale de ce code moyenâgeux.»
La militante a tenu à dénoncer par ailleurs l’attitude de quelques citoyens qui ont perturbé leur manif : «Des groupuscules d’hommes et de femmes se sont introduits aujourd’hui (hier, ndlr) dans le carré des féministes pour dissiper leurs slogans. Ce geste n’est pas à ignorer. Il nous renseigne en l’occurrence sur le mépris régnant à l’égard des femmes revendiquant leurs droits. Nous avons eu droit à des insultes de part et d’autre. Certains ont même essayé de nous arracher des banderoles. Ce fut un véritable bras de fer !», relate-t-elle.
Amina Chaher est obligée de constater que «le chemin est encore long. C’est un travail de longue haleine». «Le travail qui doit être fait, est un travail de fond et de terrain. Les collectifs doivent s’organiser pour conduire des campagnes de sensibilisation et de conscientisation», préconise-t-elle. «En Algérie, les femmes subissent des pressions et des violences dans tous les secteurs, que ce soit au travail ou au domicile familial», insiste Amina.
Elle relève par ailleurs que «la soumission de la femme est devenue un problème culturel. Les esprits ont été nourris par une culture qui n’a pas toujours accordé une place aux femmes dans la dynamique sociétale. Or, aujourd’hui les temps ont changé. Nous sommes docteurs, infirmières, avocates, mécaniciennes et pompiers ! Nous occupons de plus en plus de place dans l’espace public et cela, ‘‘l’Algérien’’ ne l’accepte pas, de peur de faire entorse à sa morale et à sa redjla !»