Au Royaume-Uni, il était une fois – et il y a longtemps – un vieil ogre sinistre qui vivait au sommet d’une grande tour de verre surplombant un ancien royaume perdu dans les montagnes de granit gris d’un continent lointain. C’était un pays fasciné par sa cruauté désinvolte, un endroit qui tremblait de terreur perpétuelle sous l’emprise brutale de son règne, qui louait quotidiennement sa gloire dans des sanctuaires percés dans les falaises rocheuses dont les fragiles villages étaient si précaires et perchés.
Ou, pour le dire autrement, en termes plus complexes, il y a quelques années, j’ai eu le léger malheur d’avoir rencontré de première main un spécimen particulièrement désagréable d’une race souvent inoffensive (et souvent bienveillante) : un membre élu du gouvernement local. C’était dans le cadre d’une affaire insignifiante dont je n’ai pas l’intention d’entrer dans les détails.
J’utilise le mot “élire” avec une certaine hésitation – et même avec un certain besoin de qualification – parce que, en fait, ledit acteur s’était présenté aux élections sans opposition, non seulement grâce à ses qualités charismatiques mais aussi (et peut-être surtout) à l’apathie des électeurs de la région. Cette indifférence était renforcée en partie par une désillusion quant aux possibilités de participation civique offertes aux paroissiens. En effet, ces électeurs s’étaient tellement isolés de la politique qu’ils n’étaient pas intéressés à participer aux processus démocratiques qui auraient pu susciter les changements auxquels ils aspiraient.
Cette personne curieuse a joué le rôle du petit despote de cet humble royaume, ce qu’on appelait autrefois la ville pourrie, et non pas tant le grand fromage qu’un tonneau de camembert mûr dont les couches s’étirent, un narcissique capricieux et arrogant, avec toutes les manières d’un cochon hautain et des truffes dans son bassin est plein. Incarnation du droit et de l’autoglorification, la créature naviguerait avec ses mots parmi les tas de thé et de gâteaux municipaux, accordés par inadvertance par la générosité des contribuables de la ville.
Confinés dans un costume sur mesure aux dimensions si étroites, cette vision odieuse ne nous a rien fait d’autre que l’horrible vision de George Orwell des bêtes anthropomorphes – ces cochons en costume d’homme – qui se dressent comme des emblèmes classiques du pouvoir de corrompre, dans les derniers moments de son roman de 1945, La ferme des animaux. Mais c’était bien pire qu’un rappel opportun que nous ne sommes tous que des singes avec des machines. C’était une ombre de l’état des choses à venir.
Il y a bien sûr ceux (et heureusement encore très nombreux) qui se lancent dans la politique démocratique, à n’importe quel niveau et sous n’importe quelle bannière, en raison d’un véritable désir de travailler dur et de faire le bien. Cependant, on assiste aujourd’hui à l’apparition d’un groupe hypertrophié de politiciens potentiels qui semblent profiter des récompenses du pouvoir sans trop réfléchir aux responsabilités de leur rôle.
Il est triste de constater que cette approche égocentrique du service public est de plus en plus révélatrice de l’état général et de l’orientation de la politique britannique. En effet, on pourrait supposer qu’il s’agit là du corollaire inévitable de la construction d’un gouvernement national supervisé à son apogée, des hauteurs vertigineuses de Downing Street, par un homme-porc fanatique, cruel esclave de ses appétits animaux insatiables et implacables. Et franchement, la crasse tombe.
Partout dans le pays, on peut voir cette nouvelle génération d’aristocrates se promener dans leurs royaumes comme des seigneurs et des dames dans leurs palais plutôt que comme d’humbles serviteurs de leur peuple, avec toutes les bourses du XVIIIe siècle, gonflées par le produit de leurs propriétés. Ces paons épuisés ne montrent que de l’arrogance et du mépris pour leurs électeurs, les paysans de leurs petits fiefs. Ils pavanent leurs horloges sur leurs scènes, grandes et petites, comme s’ils s’apprêtaient à exécuter des itérations de la dernière heure du mythe du droit du maître médiéval, traduisant leurs composantes subalternes, en proie à leurs privilèges capricieux, en marmites hésitantes de leurs primes douteuses et de leur pouvoir illégitime.
(Ceci est, bien sûr, exprimé en termes outrageux pour l’effet dramatique. L’exagération ridicule de mon langage et des images ici, comme toujours, a pour but d’illustrer la force de mon sentiment à ce sujet. En bref, ces gars-là ont vraiment une chèvre).
Au milieu du XVIIe siècle, pendant une période d’extraordinaire agitation politique en Angleterre, Thomas Hobbes a publié son célèbre ouvrage de philosophie politique, le Léviathan. Dans Leviathan, Hobbes propose de gouverner une nation prospère par un pacte avec le souverain – par le biais du consentement populaire que Jean-Jacques Rousseau décrira, un siècle plus tard, comme un contrat social. Ce chef d’État dirige par la vérité et par l’exemple (la première étant soutenue par le second) ; de cette manière, le caractère de la nation reflète le caractère de ses dirigeants.
La rectitude morale du premier ministre d’un pays doit résonner dans sa politique et sa société. Cependant, lorsque le comportement de ceux qui travaillent dans les plus hautes fonctions du gouvernement transcende les lois, les promesses, les processus parlementaires, la morale publique et les faits réels, leurs attitudes arrogantes et effrontées à l’égard des notions de devoir et d’intégrité ont tendance à faire fuir leur venin dans les structures du pouvoir.
Un vieux chêne ne pourrit pas par ses racines, il pourrit par le haut. Piégé par les parasites, au sommet de ses branches, sans feuilles et abattu, il s’épanouit dans la lueur impitoyable du soleil de midi.
Lorsque le premier ministre viole le droit et les conventions internationales… lorsqu’il enfreint les règles d’urgence de son administration en participant à des fêtes illégales au plus fort des lockdowns pandémiques, humiliant ainsi la mémoire d’un consort de roi à naître après la mort de sa femme, et sous-estimant les pertes de milliers de citoyens ordinaires… lorsqu’il ment de façon répétée et trompe le Parlement, la presse et le peuple sur ses actions, calomniant sans vergogne des personnalités de la vie publique dans de vaines tentatives de détourner l’attention de ses excès et de ses manquements…Il utilise les grands discours pour déambuler de manière incohérente à travers les premières pensées aléatoires qui lui viennent étrangement à l’esprit… Lorsque son gouvernement promeut de manière répétée les intérêts personnels et financiers de ses amis, étrangers et locaux, et de ses membres, pour apparaître comme obsessionnel et kleptocrate ; lorsque l’incapacité à assumer ses responsabilités ; lorsque le leadership délibéré et décisif conduit à la mort d’un nombre incalculable de son peuple en période de crise nationale. …lorsqu’il ne parvient pas à influencer la communauté internationale pour qu’elle adopte des réponses significatives à la menace imminente d’effondrement écologique…lorsque toutes ces erreurs grossières coïncident avec un point de l’histoire politique d’une nation, les aspirations du Hobbes du Commonwealth peuvent dégénérer en “Union des Trompeurs” que cet auteur appelait le “Royaume des Ténèbres”.
C’est l’aube morale de ces “doctrines sombres et pécheresses” qui brûlent dans les flammes sans aucun espoir de lumière, comme les appétits de leur chef démoniaque. C’est ce que l’artiste et romancier Wyndham Lewis a un jour décrit comme “l’enfer des fous” de la décadence sociale. Le lauréat du prix Nobel, Saul Bellow, a plus tard ridiculisé l’idée que Lewis se faisait de cet enfer en la qualifiant d'”état chaotique dans lequel on est submergé par toutes sortes de forces qui tiennent tout devant soi avec une sorte de perturbation païenne”. La vanité la plus flagrante du pouvoir – cet embrasement de la folie – semble maintenant frustrante et familière.
Il ne s’agit pas de l’état naturel et originel de l’anarchie animale, mais d’une aberration sinistre du corps politique alors que la brutalité du féroce Léviathan se déchaîne de façon dévastatrice, dévorant en explosant un régime d’ignorance et de mensonges. C’est l’état attendu d’une nation sous le gouvernement d’un imposteur flagrant de Premier ministre. Il laisse présager une descente vers un cauchemar qui n’est pas simplement l’absence de civilisation mais précisément le contraire de la civilisation.
Telle est l’amère réalité que je dois admettre les dangers réels dont je n’ai pas pleinement reconnu l’existence lorsque j’ai regardé dans les yeux de cochon de ce popinjay bouffi d’un politicien à l’esprit étroit il y a toutes ces années, ou même dans le bavardage prospectif d’un futur Premier ministre britannique lorsqu’il est devenu célèbre pour la première fois en tant que comédien accepté dans le spectacle télévisé depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, il vaut mieux que nous aiguisions nos sens pour détecter les signes de ce type particulier de sociopathe politique, que nous restions attentifs, tant que nous le pouvons encore, aux dangers futurs de toute montée similaire de la résistance, et que nous nous méfiions ainsi de ceux que nous mettons au pouvoir.
Parce que tout espoir n’est pas encore perdu. Il existe encore des personnes respectables dans l’ensemble du spectre politique. Et nous pouvons admettre aujourd’hui que nous avons la chance de rencontrer un certain nombre de personnes de qualité dans notre vie quotidienne. En effet, le désespoir que beaucoup ressentent actuellement face au manque de vertu au sommet du pouvoir au Royaume-Uni a incité certains à redoubler d’efforts pour rétablir la confiance dans nos démocraties avant qu’il ne soit trop tard, tant que des traces de ces idéaux subsistent.
C’est devenu un cliché de suggérer que le triomphe du mal exige seulement que les bons ne fassent rien. Mais il semble désormais évident que le moment est venu pour les gens de conscience – et principalement les esprits honorables du parti du Premier ministre – d’agir. Si l’on peut bien sûr être sceptique à l’égard de ces voix dont la rhétorique populiste jure d’assécher le marécage de la démocratie contemporaine, il y a aussi ceux qui sont sincères dans leurs rêves de construire un style politique plus propre et plus respectable, avant que n’éclosent toutes les toxines qui se cachent sous le lac de boue fumante.
Cette déjection morale excrète des champignons et des mouches. Mais elle peut aussi élever des roses.