Le conflit russo-ukrainien, aux origines bien complexes, occupe les devants de la scène internationale. La guerre larvée entre le bloc de l’occident contre celui de l’Est, en l’occurrence la Russie, a vu son point culminant en Ukraine. Le pays est, depuis des années, au cœur des manœuvres géostratégiques et géopolitiques. Le 24 février, l’armée russe a lancé son opération militaire en Ukraine et depuis le monde vit au rythme de la guerre. Business News avait recueilli le témoignage du reporter Saïf Eddine Amri parti en Ukraine pour documenter le conflit. L’ambassade d’Ukraine en Tunisie a voulu faire le point sur la situation en nous accordant un entretien. La guerre, son impact sur l’ordre mondial, sur l’économie, les relations avec la Tunisie… Interview menée par Rabeb Aloui avec l’ambassadeur d’Ukraine, Volodymyr Khomanets.
L’Otan refuse toujours de créer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de l’Ukraine, est ce qu’il y a une explication satisfaisante et convaincante ?
Nous avons besoin de décisions concrètes de l’Otan, de l’Union européenne, du G7 et G20, de tous les partenaires et organisations internationales. Nous avons l’appui de nos partenaires mais nous espérons de l’aide de l’Otan, de l’Union européenne, du G7 et G20 pour que nous puissions défendre notre pays. Nous luttons contre la deuxième armée la plus puissante au monde ; l’armée russe. Ce n’est pas facile d’y faire face. Nous avons du succès sur le champ de bataille, mais nous avons besoin de protection dans les airs ; une zone d’exclusion aérienne. Les Russes n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs. Ils sont dans l’impasse mais veulent continuer dans la propagande et à faire pression sur les Ukrainiens pour mobiliser plus de partenaires dans le monde.
Où en êtes-vous dans les négociations ?
L’Ukraine était prête à négocier dès le début de la guerre. Nous sommes une nation de paix. Nous sommes convaincus que cette guerre et chaque guerre dans le monde doit s’arrêter. Le gouvernement ukrainien a envoyé un message clair pour dire qu’il était disposé à négocier. Un premier round a, déjà, eu lieu en tête à tête et nous continuons via internet. Maintenant nous sommes en train de négocier un accord de principe. Le président (ukrainien) a déclaré qu’il était prêt à rencontrer le président russe mais nous n’avons pas de réponse du côté russe. Ils essayent de faire prolonger les négociations le plus longtemps possible. C’est malheureux qu’ils perpétuent la propagande et leur ultimatum contre l’Ukraine. Un ultimatum que nous n’accepterons jamais surtout qu’il s’agit de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Nous apprécions le soutien des partenaires internationaux qui veulent appuyer l’Ukraine dans le processus de négociations, notamment celui de la Turquie, de l’Union européenne, et du Royaume-Uni. Nous espérons, au terme de ces négociations, arriver à un accord qui garantira à l’Ukraine son indépendance sécuritaire.
L’Ukraine est-elle prête à un compromis territorial avec la Russie sur le Donbass ?
Le Donbass et la Crimée font partie intégrante du territoire ukrainien. La Russie insiste pour les déclarer territoires russes mais jamais cela ne se produira. Je répète, jamais ! Nous avons une ligne rouge dans notre processus de négociations. L’Ukraine tient à son intégrité territoriale y compris le Donbass et la Crimée. C’est notre ligne rouge. Cela n’est pas négociable !
Est c’est qu’il y a eu un progrès depuis la rencontre d’Antalya ?
Il y a de cela deux jours, il y a eu une rencontre entre les ministères de la Défense (ukrainien et russe) avec l’appui des Turcs. Nous sommes, d’ailleurs, reconnaissants de l’appui des partenaires sérieux tels que la Turquie qui continue à discuter directement ou indirectement avec (Vladimir) Poutine et la Russie afin de mettre fin à la guerre. Tel que l’a dit le ministre (ukrainien) des Affaires étrangères, nous sommes prêts à continuer les négociations. Mais jusqu’à maintenant nous ne percevons aucun signe positif du côté russe.
Régiment Azov, le bataillon du Donbass, les autorités ukrainiennes sont accusées de néonazisme. Quelle est votre réaction face à ces accusations ?
L’Ukraine et toute l’Europe a entendu parler des accusations russes, des allégations sur la détention d’armes biologiques, chimiques et même nucléaires. Je ne veux pas perdre de temps à réfuter cette propagande russe surtout que le régime russe n’a fourni aucune preuve.
L’Ukraine a déposé une demande officielle d’adhésion à l’UE et à l’Otan mais le dossier reste au point mort sans progrès en dépit de ce qu’il se passe, pourquoi ?
Nous avons adressé une demande officielle pour rejoindre l’Union européenne et nous avons eu un signal positif de Bruxelles. L’Union européenne a ouvert la porte pour l’Ukraine et nous serons un membre permanent dès que possible. Nous sommes actuellement en train de mener des consultations sur les procédures à engager dans le cadre d’un fast track en faveur de l’Ukraine. Un corridor vert pour l’Ukraine est en considération ce qui est un signal fort pour la nation ukrainienne. Cela affaibli nos ennemis, les Russes. Nous sommes membres de la famille européenne et nous souhaitons devenir un membre à part entière. Nous sommes membres géographiquement parlant, et nous souhaitons devenir membres politiquement.
Dans quel cas de figure l’Ukraine accepterait les conditions russes ?
Nous campons sur notre position. Nous n’avons pas accepté les conditions russes et nous ne les accepterons jamais. L’Ukraine n’accepte aucun ultimatum russe contre sa souveraineté et intégrité territoriale. L’Ukraine refuse d’être occupée ou colonisée par la Russie ou d’être à nouveau sous l’emprise russe. Nous savons que l’empire russe ne peut exister sans l’Ukraine. (C’est pourquoi) l’Ukraine doit stopper (le projet de) l’empire russe.
Qui peut stopper Vladimir Poutine ?
Seul un appui international peut nous aider à stopper (Vladimir) Poutine et mettre un terme à la guerre. Nous luttons pour une liberté réelle, une vraie indépendance non seulement des Ukrainiens mais celle de toute l’Europe et de tout le monde. Tous ceux qui nous soutiennent savent que (Vladimir) Poutine ne s’arrêtera pas à l’Ukraine.
Quelles sont les conséquences de la guerre en Ukraine sur les produits agricoles ?
Sur les cours du pétrole ?
Tout le monde sait que cette guerre aura un impact sur chaque pays, même les petits qui se trouvent très loin de l’Ukraine, et sur les prix des produits alimentaires. Nous appelons la communauté internationale à stopper la Russie, à mettre un terme à cette guerre car cela aura un effet très négatif même sur la Tunisie. L’Ukraine est un grand contributeur à la sécurité alimentaire de la Tunisie. Nous fournissons plus de 40% des besoins du marché tunisien en blé. Les rayons vides dans les supermarchés ne sont que le début. Nous nous interrogeons, d’ailleurs, sur ce que sera la situation dans les jours à venir si la guerre continue. Nous appelons donc à mettre un terme à cette guerre contre l’Ukraine afin de stabiliser le marché et l’économie.
Les pays dépendants du blé Ukrainien cherchent aujourd’hui des alternatives. Est-ce que cela vous inquiète ?
L’Ukraine est un acteur majeur de l’écosystème mondial de la sécurité alimentaire. Si la guerre s’arrête, la machine économique redémarrera et nous pourrons vendre notre blé. Les alternatives ont un prix. C’est pourquoi nous appelons à mettre un terme à cette guerre et endiguer ses répercussions sur l’économie mondiale.
Comment vous évaluez les échanges commerciaux entre la Tunisie et l’Ukraine ?
Durant les dernières années, nous avons enregistré une dynamique positive. Les échanges commerciaux ont augmenté de 10 à 15%. Nous avons, par ailleurs, bien avancé dans le processus de négociations d’un accord de libre-échange avec la Tunisie, ce qui nous permettra de consolider nos relations.
Nous avons organisé une foire l’année dernière et mis en place des plans d’action pour encourager nos hommes d’affaires à investir en Tunisie. L’Ukraine, de son côté, représente une opportunité pour les hommes d’affaires tunisiens. Elle peut être une porte d’entrée pour les marchés européen et asiatique et un hub d’échange et de logistique. L’Ukraine s’attend, elle, à un appui de la part de la Tunisie pour avoir un accès à d’autres marchés en Afrique.
Que va-t-il se passer pour les étudiants étrangers, Tunisiens notamment ?
En tant qu’ambassadeur d’Ukraine en Tunisie, je sais que la situation des étudiants tunisiens en Ukraine est une question d’importance majeure. Je tiens à souligner que je suis en contact permanent avec le gouvernement tunisien et que nous avons réussi les opérations d’évacuation. Avant la guerre, plus de mille ressortissants tunisiens vivaient en Ukraine. La majorité a été évacuée grâce à l’étroite collaboration entre nos gouvernements respectifs.
Nous avons développé un site web afin de fournir aux étudiants tunisiens qui étaient en Ukraine toutes les informations nécessaires sur le déroulement de leurs études à distance pour l’obtention de leurs diplômes et leur retour en Ukraine. Pour ce qui est de la Russie qui souhaite récupérer ces étudiants, je tiens à informer les parents des étudiants tunisiens que la Russie est de plus en plus isolée est veut en faire des otages. Les diplômes russes ne sont pas reconnus dans le monde alors que l’Ukraine offre un programme d’éducation européen. Nos diplômes sont reconnus partout. Vous devez faire preuve de patience. L’Ukraine accueillera les étudiants tunisiens afin qu’ils poursuivent leur formation quand la guerre aura pris fin.
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